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howlin' jaws - Page 3

  • CHRONIQUES DE POURPRE 378 :KR'TNT ! 398 : HOT SLAP / ALLY & THE GATORS / JIMMY WEBB / CRASHBIRDS / TONY MARLOW / ALICIA FIORUCCI / HOWLIN' JAWS / HI-TOMS / AMY WINEHOUSE ROCKAMBOLESQUES (12 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    LIVRAISON 398

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    20 / 12 / 2018

     

    ALLY & THE GATORS / HOT SLAP / JIMMY WEBB

    CRASHBIRDS / TONY MARLOW/ ALICIA FIORUCCI

    AMY WINEHOUSE / HOWLIN' JAWS / HI-TOMBS

    ROCKAMBOLESQUES ( 12 )

     

    DEAR KR'TNTREADERS !

    UNE SEMAINE FASTE SE PROFILE A L'HORIZON DES PROCHAINES SATURNALES : NON SEULEMENT CETTE LIVRAISON 398 VOUS EST SERVIE AVEC UN JOUR D'AVANCE, MAIS LA 399 SERA DEPOSEE SOUS LE SAPIN DE NOËL DèS LE SAMEDI 22 DECEMBRE ! POUR LA LIVRAISON 400 NOUS VOUS DONNONS RENDEZ-VOUS DANS LES PREMIERS JOURS DU MILLESIME 2019 !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

     

    Rumble in Rouen - Part Two

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    Back to the basics avec une soirée rockab à la cave. Hot Slap en première partie et Ally & The Gators à la suite. Soirée hot as hell dans la bonded cave, du monde en veux-tu en voilà et du big bad beat avec the fast rising Hot Slap. Un Hot Slap taillé pour la route avec sous le capot un démonic Dédé stranded on the stand-up. Il est vite torse nu, cool as fuck, il court il court le furet, avec un rockabilly tatoué en arc de cercle sur toute la largeur du dos. S’il est un mec qui incarne le pur esprit rockab en Normandie, c’est bien lui.

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    Il faut le voir faire corps avec sa stand-up, il la travaille au manche avec une ferveur qui vaut bien celle du mineur d’antan, la gueule noire qui creusait jadis sa veine à la pioche et qu’on payait une misère au wagonnet, il démolit ses drive avec tout le shake, tout le rattle et tout le roll du monde, il fond James Kirkland et Lee Rocker dans le même moule à la crème de la crème, il cavalcade ses drives comme un dératé, il dépote ses mesures à la démesure, il palpite le beat et l’envoie roulé boulé down the alley, il a tout pigé, il sait forcer le destin du beat comme un forçat, il cadence ses gammes comme un rameur, vogue la prodigieuse galère, ça culbute sous le cache, ça carbure dans les durites, ça crache à la gueule du carter, le voilà penché sur l’avenir du rockab qui n’a jamais été en d’aussi bonnes mains. Le Long Blond Hair de Johnny Powers n’a qu’à bien se tenir. La cave est à l’image de la forge, car penché sur l’enclume de sa stand-up, Dédé bat son fer comme Vulcain, au fond des enfers. À l’organique du diable. Au Mystery Train fumant des origines du rock. Il astique son slap à l’huile de coude, il est du genre à cracher dans ses mains avant d’empoigner le manche de pioche, il jette tout en vrac dans la balance et ça rock hard, Gone Gone Gone with the cat clothes on. En le voyant créer de l’étuve au cœur de l’étuve, on repensait au slappeur des Mad Sin, ce fabuleux gamin qui jouait sur une stand-up décorée de lampions et à l’époque, on comprenait en le voyant jouer que toute sa vie se résumait au groupe. On ressent la même chose en voyant jouer Dédé : il ne vit que pour ça, l’énergie primitive du rockab, dans ce qu’elle peut avoir de plus rawdical.

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    Si on rate les Hot Slap sur scène, il existe un moyen de se rattraper pour savourer leur excellent ramdam. Il s’agit bien sûr de leur deuxième album, Lookin’ For The Good Thing. Dès «Sometimes», c’est dans la poche. Le chanteur s’appelle Martin. Il déploie à l’infini, sans jamais forcer sa voix, mais les choses prennent une tournure extravagante lors du départ en solo, véritable killer attack que vient télescoper de plein fouet Dédé avec un fulgurant tacatac de stand-up psychotique. Ils explosent tous les deux le cut en free-wheeling et redonnent au rockab son vieux parfum de sauvagerie. Ils rééditent cet exploit avec «Down The Road», compo bien ficelée, on ne se méfie pas, et soudain Dédé s’en vient croiser le solo avec l’ardeur d’un damné. Ils jouent tous les deux à l’extrême puissance du rockabilly beat et génèrent de la folie douce. Ils proposent un bon choix de reprises, à commencer par le «Mojo Boogie» de JB Lenoir embarqué au pur jus de rumble. Ça ne traîne pas. Dédé le sabre au pire slap de l’univers. C’est lui qui mène la danse dans ce bal du beat. Ils tentent aussi de taper dans Elvis avec «Mystery Train». Taper dans l’intapable ne réussit pas à tout le monde. C’est le solo qui sauve la mise du cut, ce mec joue des rivières de perles sur sa guitare. On voit aussi Dédé bombarder la paillasse du vieux «Long Blond Hair» de Johnny Powers. Il est le gardien du temple, le hot slappeur par excellence. Bel hommage à Carl Perkins avec «Gone Gone Gone». On voit une fois de plus le guitariste partir en solo flash et croiser la mitraille du hot Dédé on the slump. C’est très spectaculaire, le slap fait le show, comme au temps de James Kirkland. D’autres cuts comme «It’s All Over For Me» et «I Was Your Man» sont aussi slappés à la vie à la mort. Sans cette énergie du slap, ce genre de cut ne marcherait pas. Rien à faire.

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    Avec Ally & the Gators, on a autre chose, disons quelque chose de plus féminin, de moins damné de la terre. Elle tape dans un registre plus ouvert, mais elle dégage elle aussi quelque chose de très puissant, dans sa façon de taper ses cuts au guttural en secouant des maracas. Elle frémit, elle tressaute et shake son shook au big bad feeling pur. Elle passe en puissance, là où Gizzelle ne passait pas, sur la grande scène du Beetoon Rétro, oui, Ally passe comme une lettre à la poste, avec un set plus concentré, une énergie mieux canalisée et une envie d’en découdre qui laisse un brin coi.

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    Elle fujiyamate la mama d’All Of Me et pulse une version confondante du western de Reno, tu sais quand Johnny Cash jouait avec le feu de Folsom. Version déliée et inspirée par les trous de nez. Elle baby please don’t gotte à la revoyure et propose à Dédé de monter à bord du Train Kept a Rolling pour une partie de ride effrénée.

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    Alors c’est la foire à la stand-up, ils doublent tous les instruments et choo-choo, c’est parti pour un hommage à l’un des plus grands d’entre tous, Johnny Burnette. Pas de meilleur saint pour une foire aux auspices, pas de meilleur pain quotidien, pas de meilleur hommage à la Bête Humaine des deux Jean, le Renoir comme le Gabin, et cette machine qui fonce à travers les tunnels en sifflant mille fois sur la ligne du Havre - I hear the train a comin’/ It’s rolling round the bend - L’énergie du rockab reste aussi précieuse que l’air qu’on respire ou que le verre de rhum qu’on lève chaque jour en hommage à la mémoire du Capitaine Flint.

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    Signé : Cazengler, pas Gator mais Gâteux

    Hot Slap. Ally & The Gators. Le Trois Pièces. Rouen (76). 8 Décembre 2018

    Hot Slap. Lookin’ For The Good Thing. Rock Paradise Records 2018

     

    Webb master - Part One

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    Jimmy Webb fait partie des auteurs-compositeurs les plus célèbres de l’histoire du rock. Son hit le plus connu, «MacArthur Park», fut repris plus de 80 fois, c’est en tous les cas ce que nous raconte Bill Kopp dans Record Collector.

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    Mais avant d’être l’auteur à succès que l’on sait, Jimmy Webb fit partie de cette ‘out-of-control coterie’ de musiciens qui terrorisèrent la scène musicale de Los Angeles dans les années soixante-dix. Cette sulfureuse coterie rassemblait John Lennon, Harry Nilsson, Keith Moon et Alice Cooper. Jimmy Webb rappelle qu’ils prenaient à l’époque énormément de drogues. Un jour, Harry Nilsson versa le contenu d’une petite fiole de poudre sur le dos de sa main - it’s a new product ! - il sniffa tout ce qu’il put et fit sniffer le reste à Jimmy. Ils tombèrent tous les deux dans un coma qui dura 24 heures. Ils venaient de sniffer du PCP et ne le savaient pas - It really almost killed us both - Et il ajoute plus loin : it was that bad.

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    Jimmy Webb adore raconter des petites histoires drôles. Quand il composa «By The Time I Get To Phoenix» pour Glen Campbell, celui-ci dit à Jimmy qu’il avait besoin d’un follow-up and can you make it geographical ? Jimmy acquiesça et pondit «Wichita Lineman» qui est aussi un hit géographique. C’est d’ailleurs Glen Campbell qui fut sa première idole. Jimmy conduisait un tracteur en Oklahoma quand il entendit «Turn Around Look At Me» sur l’autoradio et il emprunta des sous à son père pour aller acheter le disque de Glen Campbell à Beaver. Chaque nuit, il se mettait à genoux pour prier Dieu : «Please Lord let me write a song for Glen Campbell !»

    Sa prière fut exaucée quatre ans plus tard, quand en roulant dans Hollywood, il entendit Campbell chanter Phoenix sur son autoradio.

    À ses débuts, il savait qu’il travaillait comme Burt, se limitant à composer. Il ne cherchait pas à interpréter. Puis, sous l’impulsion de David Geffen, il se mit à enregistrer ses propres chansons et à sortir des albums.

    En 1967, the Fifth Dimension enregistra 16 compos de Jimmy Webb réparties sur deux albums. Richard Harris enregistra lui aussi deux albums bourrés à craquer de compos de Jimmy Webb. Même chose pour Thelma Houston, avec Sunshower. Puis les Supremes, Glen Campbell, Art Garfunkel, Cass Elliot, Scott Walker et des tas d’autres gens se mirent à taper dans le répertoire du jeune prodige Jimmy Webb.

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    Dave Dimartino y va lui aussi de sa petite interview dans Mojo. Jimmy Webb rappelle qu’il vénérait les gens du Brill et qu’il eut du mal à prendre les Beatles au sérieux, jusqu’à ce que sortent deux bombes intitulées Revolver et Rubber Soul. Il reconnaît aussi devoir énormément à Motown et à Johnny Rivers qui fut son mentor. Lui et Johnny Rivers jouèrent à Monterey avec le Wrecking Crew, mais on ne les voit pas dans le film. Jimmy rappelle aussi que très peu de gens savaient jouer dans les sixties. Quand il parle de gens qui savaient jouer, il cite les noms de Glen Campbell, de Jim Messina et de David Crosby.

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    Son premier album s’appelle Jim Webb Sings Jim Webb et paraît en 1968 sous une pochette illustrée. En fait c’est un album illégitime. Comme Jimmy commençait à avoir du succès, le propriétaire du studio dans lequel il avait travaillé fit paraître un album de Jimmy Webb sans lui demander son autorisation. Un mec crayonna le portrait de Jimmy rebaptisé Jim, ce qui est insultant. Dans ses mémoires, Jimmy se dit furieux : «Mixed with the Rolling Stones soundalike knockoff tracks and my out-of-tune vocal song demos from 1965 and engineered by one of the B-string talents of the technical world, the results sounded like a collision between Royal Albert Hall and a tour bus full of Dreadheads.» (cet ensemble de pseudo-cuts à la Rolling Stones sur lesquels je chante faux et qui est enregistré par un bricoleur du dimanche sonne comme la collision du Royal Albert Hall et d’un bus plein de rastas) - I called Bob and told him it was in no way acceptable - Jimmy lui proposa d’enregistrer un album entier et de payer pour l’enregistrement s’il acceptait de retirer cet album qui risquait de lui ruiner sa carrière - He was immovable - Rien à faire. Ce Bob était convaincu que l’album was a work of genius. Difficile à avaler. L’album peine en effet à convaincre. Trop pop, sauf peut-être «I Keep It Hid», qui ouvre le bal. Jimmy y joue les grands vizirs de la vision - Baby what you’ve been doing - Ça préfigure tout le grand webbisme à venir. Il s’y trouve un phrasé qu’on retrouvera plus tard sans «MacArthur Park». Et de jolis coups de trompettes. On sent même un léger côté Burt. Avec «Life Is Hard», il propose une sorte de jazz ethnique de petit chapeau sicilien, assez proche du Georgie Fame Sound. Même chose pour «I Need You», joué au petit shuffle d’orgue. En B, Jimmy patauge dans la pop d’époque, ultra-commerciale, très américaine, à la fois soft et frénétique, et forcément ça se noie dans la masse des Grapefuit et autres Brummells du Midwest. Jimmy est bien meilleur dans le mélopif, comme on le constate à l’écoute de «Then». C’est son pré carré. Il y va franco de port, sans crainte ni remords, libre de ses mouvements. Il termine cet album désarmant avec une sorte de mambo intitulé «Run Run Run», qui sonne encore une fois comme du Georgie Fame. Encore un cut dont on ne gardera aucun souvenir. Jimmy clôt l’épisode en indiquant que cet album fut envoyé dans toutes les stations de radio américaines et qu’il fut mal reçu partout. Jamais aucun cut de ce disque n’est passé à la radio. Dans son cercle rapproché, il était interdit d’en parler. Jimmy avait honte. Il avait l’impression d’être un sixteen-year-old kid screaming and carrying on in a cheap imitation of Mick.

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    L’éclairage qu’apporte The Cake And The Run est déterminant. Ce recueil de mémoires couvre la première partie de sa vie jusqu’en 1973. Il entretient avec un père pasteur une relation très spéciale. Cet homme qui s’est battu trois ans dans le Pacifique contre les Japonais fait régner l’ordre dans la maisonnée. Quand il dérouille sa marmaille à coups de ceinture, Jimmy se met à le craindre et à le haïr, mais il ne sait pas s’il le hait plus qu’il ne le craint. Le père ne supporte pas de voir Jimmy composer des chansons. Il fait des efforts surhumains pour garder la tête froide quand il entend Jimmy «composer». Autre élément fondamental : tous les deux ans, le père change de paroisse. Les gosses perdent chaque fois leurs repères et surtout leurs copains. La famille part s’installer en Californie quand Jimmy est ado. Nouvel environnement et nouvelles opportunités. Jimmy s’est inscrit dans une fac de San Bernardino. Quand un beau jour le père décide de renter à la maison, c’est-à-dire en Oklahoma, Jimmy refuse de quitter la Californie. Cette page est sans doute la plus belle du livre. Son père lui donne rendez-vous devant le Sunset Palms Motel. Jimmy voit arriver le camion qui contient tout ce que possède la famille, le piano de sa mère, les fringues, ses frères et ses sœurs. Son père descend du camion :

    — Où sont tes affaires ? Je t’ai laissé de la place là-haut.

    Jimmy ne répondit pas tout de suite. Il regardait son père.

    — Dad, je ne pars pas avec vous.

    — Ne dis pas de conneries, fils. Bien sûr que tu viens avec moi.

    — Dad, je suis installé pour de vrai. Je veux écrire des chansons. C’est ici, en Californie, que les gens écrivent des chansons.

    — Cette histoire de chansons va te broyer le cœur, fils.

    Ils restèrent là un moment à se regarder, sans bouger.

    — Jimmy, ce que tu me demandes là, c’est la chose la plus dure de toute ma vie.

    Il fouilla dans sa poche et en sortit un vieux portefeuille usé. Il tendit à Jimmy deux billets de vingt.

    — C’est tout ce que j’ai, fils. J’aurais bien voulu faire mieux.

    Il tourna les talons et se dirigea vers le camion. Jimmy avait gagné. Son père le regarda encore une fois et mit le moteur en route.

    Ne vous inquiétez pas, Jimmy va revoir son père et même l’aider et lui faire découvrir la vraie vie lorsqu’il deviendra riche grâce à ses chansons. Cette scène de séparation est une authentique merveille littéraire. Eh oui, monsieur Webb est aussi un écrivain. Ce livre pullule de formules incroyablement poétiques. Il rencontre par exemple une Anglaise nommée Evie, mais elle n’est pas libre. Jimmy la veut. Don’t be silly lui répond-elle. Il insiste. Alors elle lui dit d’appeler le lendemain, Richard has my number. «La Mercedes fila dans un grand whooshing. Il ne restait d’elle que son parfum français dans l’air. Il n’y avait rien d’aussi délicieux sur cette terre que le son de sa voix. C’était comme le vent sur l’eau - It was like wind on the water.»

    Comme chez tous les mémorialistes dignes de ce nom, on trouve aussi une éblouissante galerie de portraits, à commencer par celui de David Geffen : «Il m’accueillit sur le perron. Il était assez maigre, avec des cheveux noirs bouclés. Son sourire hollywoodien était intentionné, et ce n’est pas lui manquer de respect que de dire ça. Il semblait parfaitement en adéquation avec son environnement. Il vous fixait d’un œil brillant, comme s’il savait exactement ce que vous alliez dire et qu’il mesurait votre intelligence. Comme il s’occupait des carrières de Joni Mitchell et de Laura Nyro, j’étais conquis d’avance.» Oui, il faut savoir que Laura Nyro fut huée à Monterey. On vit même voler des boîtes de bière, ce que ne montre pas le film. Il ne montre pas non plus Laura qui sort de scène en pleurs et David Geffen qui la prend dans ses bras : «Elle passa devant moi en pleurant, alors que j’étais dans les coulisses et se jeta dans les bras d’un homme. On m’indiqua qu’il s’agissait de David Geffen. Il allait ensuite l’aider à se reconstruire.»

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    Jimmy rencontre Lou Adler au moment où s’organise Monterey Pop : «Lou Adler se grattait la barbe pensivement. Sa technique méticuleuse d’overdubs d’harmonies vocales à quatre voix était le secret de sa réussite. Il avait passé tellement de temps à scruter des vu-mètres dans des studios qu’il affichait en permanence une mine chagrinée.» Jimmy rappelle que Johnny Rivers, le Wrecking Crew et lui sont allés jouer à Monterey Pop et que leur séquence a disparu au moment où Lou Adler et John Phillips ont fait le montage final : «S’il s’agissait de peace and love, alors on s’est bien fourré le doigt dans l’œil. On n’aurait jamais voulu fricoter avec des gens aussi intolérants.»

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    Jimmy revient longuement sur l’épisode Monterey Pop pour saluer Otis, the most nuclear-powered forty-five minutes in the history of rock’n’roll - «Le plus drôle, c’est qu’après tous les costumes, après que les Who aient fait sauter la scène, après que Janis se soit déchiré la voix, après Springfield, Canned Heat, Quicksilver et Steve Miller, celui dont tout le monde parlait n’était autre qu’un modeste chanteur originaire de Dawson en Georgie. Toute la foule dansait et battait des mains pendant le set d’Otis. Mais la fin du festival était réservée aux Mamas and the Papas. Juste avant leur triomphe annoncé, un guitariste relativement peu connu était programmé, avec son «Experience». Jimi incarnait soit le pire cauchemar, soit le plus beau rêve de la ménagère, ainsi couvert de plumes, de bracelets, de couleurs, de colliers, il se dressait seul comme un guerrier poétique devant une montagne de Mashalls et il joua comme un démon. Comment une seule personne pouvait générer un tel son ? J’en restai coi.»

    Par contre, Jimmy ne supporte pas le cra-cra du Fillmore West - This was a darker vibe - Et il ajoute - You could smell the sweat of addiction - Jimmy et Johnny Rivers se frayent un chemin dans la foule, poussant ici et là des gens qui ont perdu la tête - Occasionnaly pushing off somebody who was temporarily missing from their body - Il va voir chanter Janis et Big Brother - Sa voix était comme une lame de rasoir qui tranchait la fumée et l’ennui. The band was sloppier than hell and I don’t mean their state of dress.

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    Et puis bien sûr, les drogues. C’est Larry Coryell qui lui fait découvrir la coke : «Ça va changer ta vie !» Il ne croyait pas si bien dire. Johnny Rivers et Jimmy découvrent ensuite Sgt Peppers sous acide. Jimmy parle d’un album héroïque. Il partage sa passion des drogues avec Harry Nilsson qui devient son ami. Quand Harry sniffe, c’est des deux narines à la fois et il en fout partout, sur sa barbe, sur sa chemise. Il est comme disent les Anglais, larger than life. Il sniffe toujours sur le dos de sa main. Jimmy et lui passent leur temps à sniffer, à siffler du brandy et à fumer du hash. Puis ils entrent au studio où on les attend. Après un concert de Jimmy à Londres, Harry cherche un dealer pour organiser la party d’after-concert. Il veut some decent coke caus’ George is coming. Il parle bien sûr de George Harrison. Plus tard, à Hollywood, Harry lui amène John Lennon. Lennon a frappé une photographe et Harry demande à Jimmy de faire un faux témoignage pour tirer Lennon de cette sale affaire. Jimmy reverra Lennon à l’occasion d’un fabuleux épisode de débauche qui se déroule dans un appartement d’Hollywood : une Japonaise à poil est assise sur le bord d’une table, les jambes écartées et Lennon lui fait glisser un billet roulé dans la moule. Jimmy ajoute qu’elle adore ça. Cet épisode de la vie de Lennon s’appelle the Lost Weekend. Il venait de se séparer de Yoko Ono. Aussi entendait-il se schtroumpher à outrance. On n’a qu’une vie.

    Jimmy revient brièvement sur le projet Lennon/Nilsson/Spector pour dire qu’une nuit, Harry arriva chez lui mal en point et alla cracher du sang dans l’évier de sa cuisine - I was shocked - Il rappelle aussi que Phil Spector avait saisi David Geffen à la gorge et l’avait collé au mur avec un flingue chargé sur le front. Geffen avait commis l’erreur de vouloir empêcher Spector de superviser une session d’enregistrement de Joni Mitchell. Ce sont des choses qui ne se font pas.

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    Words And Music est un album difficile. On est tout de suite agacé par la petite pop étriquée de «Sleeping In The Daytime». On sent un manque de moyens. Jimmy chante comme un con. Il cherche des moyens de s’échapper. On le sent dévoré par l’ambition. Puis il rend hommage à son vieux pote PF Sloan avec «PF Sloan». C’est poppy et intronisé, étonnant et tellement présent - No no no don’t sing that song/ It belongs to PF Sloan - On trouve plus loin un joli «Careless Weed» amené à la chopinade. Jimmy force un peu sa voix. Dommage. C’est trop ambitieux. Il faut du contexte pour que ça prenne du sens. Et les choses vont se dégrader en B, avec «Songseller». Jimmy a du mal à se stabiliser, il fait tout et n’importe quoi. On entend les accords des Who. Et ça repart en shuffle avec «Dorothy Chandler Blues», on ne sait pas pourquoi. Son «Jerusalem» est insupportable d’inutilité. Il trafique aussi Gilbert Bécaud dans «Let It Be Me». On ressort de cet album épouvanté. On ne se souviendra que de «PF Sloan».

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    And So On sort un an plus tard, en 1971. Jimmy rappelle dans son livre que cet album fut couronné album of the year dans Stereo Review magazine. Sur les albums des grands compositeurs, le premier cut est souvent déterminant. «Met Her On A Plane» sonne comme une belle pop aérienne et là, okay, on entre dans le vrai monde de Jimmy Webb, la magie pop compositale. Ce sacré Jimmy plante son décors. C’est orchestré à outrance. Chez lui, rien n’est gratuit. Mais avec «All Night Show» et «All My Love’s Daughter», ça bascule dans la putasserie et le mal chanté. Et ça continue de se dégrader avec «Highpockets», cut prétentieux et tellement maladroit. C’est avec un certain désespoir qu’on se jette sur la B. Arrggh ! «Laspitch» se révèle inintéressant au possible. Voilà ce qu’il faut bien appeler de l’atroce pop d’inutilité publique. On tombe enfin sur «One Lady», un cut mélodique joué au riff pianistique, mal chanté mais honorable. C’est la force de Jimmy Webb : ramener sa fraise avec des mélodies imparables. Il semble que Larry Corryell joue sur ce cut. Encore une compo ambitieuse avec «See You Then». Il faut lui laisser une chance.

    De temps à autre, Jimmy Webb cite ses goûts, ce qui permet de mieux le situer. Il évoque par exemple les blancs qui peuvent chanter «soulfully» : the Righteous Brothers, les Walker Brothers, Joe Cocker, Tom Jones, Felix Caveliere et Janis Joplin. Jolie brochette. Autre hommage de poids : «Au début de l’année (1969) parut l’un des disques les plus importants de l’époque. Simon & Garfunkel venaient d’enregistrer ‘The Boxer’. Cette chanson allait beaucoup plus loin que le Spector Wall of Sound. C’était aussi puissant mais plus clair. Les paroles étaient plus allusives qu’explicites. Écouter cette chanson, c’était comme d’entrer dans un film et s’asseoir quelque part au milieu. Je veux faire des disques comme celui-là.»

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    On trouve l’un de ses grands hits sur Letters : «Galveston» - When I clean my gun/ I dream of Galveston - Jolie rime. Quand on écoute «Campo De Encino», on sent le pianiste chevronné. Jimmy nous tape là une belle pièce d’exotica, pas loin du tex-mex. En fait c’est un hommage à Harry Nilsson. Mais on passe à travers tout le reste de l’album. Avec «Smile» qu’il écrit à propos de Joni Mitchell, il s’enfonce dans un système à la James Taylor et on bâille tellement qu’on s’en décroche la mâchoire. Il se passerait presque quelque chose dans «Hurt Me Well» : le fleuve symphonique charrie des instants de grâce et d’élévation subordonnée. D’exquises vermicelles de violoncelles s’effilochent dans l’azur immaculé. En B, le seul truc écoutable est un balladif violonné à l’infini, «When Can Brown Begin». C’est vrai que l’orchestration reste le grand dada de Webb.

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    The Naked Ape paru en 1973 est la BO d’un film. Jimmy signe tout et ne chante que deux cuts : «Saturday Suit» et «Fingerpainting». Qu’en dire ? On reste dans l’excellence pop-arty longitudinale. Mélodiquement parlant, c’est en place et même plus qu’en place. Mais on s’ennuie comme un rat mort avec le reste de l’album.

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    Sur la pochette de Land’s End, Jimmy plane au dessus des montagnes neigeuses. Henry Diltz signe la photo - He was the master of the big picture, that perfect shot that captures the essence of the music inside the cover - Dans l’un des derniers paragraphes de The Cake And The Rain, Jimmy raconte que lors de cette session photo, il perdit le contrôle de l’avion. C’est un miracle que Diltz et lui ne soient pas morts après que l’avion ait percuté un sapin. Sur cette pochette fatidique, Jimmy porte une horrible casquette bouffante bleue et des lunettes. Mais on n’est pas là pour ça. Si on sort ce disque de l’étagère, c’est pour s’envoyer un petit shoot de Beautiful Songs, et on en trouve deux et pas des moindres sur cet album aérien, à commencer par «Just This One Time», une pure envolée, un chef-d’œuvre superbement atmosphérique. Jimmy sait créer les conditions de l’envol. C’est d’une puissance qui ravira les amateurs de chevaux fiscaux. L’autre perle impérative s’appelle «Land’s End/Asleep On The World». Voilà ce qu’il faut bien appeler un tour de force symphonique. En guise d’intro, Jimmy se pose sur le vent pour aller planer, il croise des contre-vents dignes de MacArthur Park. C’est tout simplement vertigineux de beauté. À l’instar de Burt, Jimmy pourrait bien être l’un des rois du Beautiful Song System. Ce cut est franchement exceptionnel de grandeur épique. Il faut aussi écouter «Lady Fits Her Blue Jeans», un cut si sensible qu’il paraît anglais. Jimmy adore faire trembler sa petite glotte. Sacré Jimmy ! On attend qu’il revienne faire un saut à MacArthur Park. C’est là qu’on l’aime. On the way to Phoenix aussi. «Crying In My Sleep» vaut pour une belle pop attachante, teintée de vieux relents de «Mandoline Wind». Qui y a pensé le premier ? Jimmy ou Rod The Mod ? Il semblerait que ce soit Rod. Encore de la petite pop exemplaire avec «It’s A Sin». On y note la présence d’une réelle puissance, le pathos y pèse une tonne. Jimmy ne lâche rien, surtout pas la rampe. Et quand on écoute «Alyce Blue Gown», on réalise que cette pop reste vivante de bout en bout, aussi animée, joyeuse et fourmillante qu’une rue commerçante un jour de printemps. Jimmy travaille sa viande avec la pugnacité d’un artiste classique de la Renaissance.

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    On retrouve le fantastique «PF Sloan» sur El Mirage paru en 1977 - I’ve been seeking PF Sloan/ But no one knows where he has gone - C’est très inspiré, en tous les cas, l’hommage palpite de magie pure - The last time I saw PF Sloan/ He was summer burned and winter blow/ He turned the corner all alone/ But he continued singing - L’autre gros cut de l’album s’appelle «The Highwayman». Jimmy raconte l’histoire d’un mec qui travaillait sur un barrage du Colorado, mais il a glissé dans le béton qui l’a englouti, mais il est still around - But I will remain/ And I’ll be back again - Jimmy retrouve la trace du highwayman dans le couplet suivant : il a été pendu en 25 - But I’m still alive - Oui, c’est l’histoire d’un esprit survivant. Fantastique ! Son «Mixed-up Guy» se veut poppy mais aussi très entraînant. C’est un brin diskö, mais à la Webb, limite good time music. On pourrait même parler de musique des jours heureux, hélas révolus. On a aussi un cut qui monte comme la marée de la Rance : «Moment In A Shadow» - I lived and died agian/ Then I saw you - Sacré pâté de pathos ! En B, Jimmy nous projette dans son errance platonique avec «When The Universes Are». Il va de bar en bar, to the next whisky bar. Et on retrouve un brin de puissance orchestrale dans «The Moon Is A Harsh Mistress».

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    Paru en 1982, Angel Heart se situe à un très haut niveau composital. Le hit de l’album s’appelle «In Cars». Il flotte dans l’air chaud de Californie - Restaurant mobile/ Two behind the wheel - C’est un hymne à l’automobile digne de ceux imaginés par Chuck Berry - Everything was warm/ What a perfect form/ Underneath the stars - Magie pure. Le morceau qui ouvre le bal de l’A sonne comme un hit pop parfait. S’ensuit un «God’s Gift» de dimension océanique, très pianoté et chanté au soupir angélique. Si Jimmy n’avait pas la tête d’un ange, on le soupçonnerait d’être un démon. Dans «One Of The Few», il rend un superbe hommage à une femme, honest, courageous and true - Et il en profite pour dire tout le mal qu’il pense des hommes - You know about man/ His own jailor/ Selfish and so unkind/ Trapped in his frightened mind/ Blind he heads the blind (tu connais les hommes, qui s’enferment dans leurs propres prisons, qui ne pensent qu’à leur gueule, qui sont des aveugles parmi les aveugles) - Dans «Work For A Dollar», il se souvient de ce que lui disait sa mère - You gotta work for a dollar/ To earn a dime, Jimmy - C’est sombre et basé sur l’expérience de la vie. Et donc captivant. L’«His World» qui ouvre le bal de la B rend hommage à un rocker, qui, on ne sait pas, c’est assez rock FM, mais on sent la patte de Jimmy Webb. Il faut aussi écouter le «Old Wing Mouth» de fin de B car Jimmy y balance des choses intéressantes, du style The devil will be leased upon the earth again/ Material possessions are the road to hell - Il y dénonce tout simplement le fléau des temps modernes, le matérialisme.

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    C’est Linda Ronstadt qui produit Suspending Disbelief. Jimmy considère cet album comme l’un de ses meilleurs. C’est là qu’on trouve l’excellent «Elvis And Me». Il y raconte sa rencontre avec Elvis dans un hôtel de Vegas. Elvis l’appelle par son nom, alors Jimmy Webb se sent devenu important. Lors du show, Elvis lui glisse un mot : «Come backstage». Quelle épopée ! Jimmy Webb en fait un chef-d’œuvre - Me & El/ It was just like this - L’autre hit du disk s’appelle «I Will Arise», un essai de gospel batch qu’il transforme en batch explosif. On l’entend jouer du piano dans la ferveur. Lui seul est capable de lever un tel levain. Quel envol ! On l’entend chanter «I Don’t Know How To Love You Anymore» au profond du menton comme Richard Harris, mais il ne dispose pas de la même ampleur. Mais on note que l’indéniable emprise de Jimmy Webb tiendra jusqu’à la fin des temps. Sur pas mal de cuts, on bâille aux corneilles et «Friends To Burn» nous fait douter de son intégrité. Mais comme il est okie, il ne renonce jamais. Il pianote sa voie à travers la pop. Regain d’espoir avec «Postcard From Paris», joliment articulé par des chœurs féminins. Il voit les amoureux marcher sur les Champs Elysées et il pense à sa poule qui n’est pas venue. Jimmy Webb est un incurable romantique. Ce cut est tellement gorgé de romantisme qu’il en deviendrait presque beau. Au fond lui, Jimmy Webb ne se console pas de l’absence de cette pute.

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    Sur Ten Easy Pieces paru en 1996, il pianote tous ses grands hits, à commencer par «Galveston». Il s’adore le nombril et il a raison. Il pianote aussi «Highway Man» à outrance. Il ne chante que par décret. Il se fend d’une belle intro pour «Wichita Lineman» - I am a lineman for the country - Il chante à l’octave de son Americana, alors c’est fatalement bon. Une guitare nylon le challenge et on bascule très vite dans la beauté pure. Sa version de Phoenix ne vaut pas celle d’Isaac, bien sûr, il opte pour l’attaque mélodique exceptionnelle de caus’ I left that girl too many times before. Quelle belle évanescence ! Il crie son truc et revient miraculeusement à la raison. Il amène «Didn’t We» aux notes de piano superbes et passe au rêve chaviré. Il semble se prélasser dans sa légende, il parvient parfois à chanter avec autant de gusto que Richard Harris. Ce cut est d’une indéniable perfection. Et il va bien sûr finir avec «MacArthur Park». Dès qu’il pianote l’intro, on sait qu’on y est. C’est l’une des aventures symphoniques les plus importantes du siècle passé. Jimmy Webb chante au mou du genou et monte son again oh no comme il peut. Il joue la carte de la sobriété. Il grimpe tout à la seule force du piano, il faut voir le travail. Ça melte in the dark et il s’en va exploser son again oh no. Même s’il réussit à en faire une stupéfiante interprétation, celle de Richard Harris reste nettement supérieure.

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    Paru en 2005, Twilight Of The Renegades est la Bande Originale d’un film. On y trouve un fantastique hommage à Paul Gauguin, «Paul Gauguin In The South Seas» - So he took the train down to Marseilles/ And went searching for PARADISE - Et comme chacun le sait, ça se termine aux desolate Marquisas. Ce bel hommage devient mythique, comme par défaut. Son «Class Clown» sonne comme du Randy Newman, avec d’infinis développements. Il raconte l’histoire extraordinairement vivace d’un homme qui finit homeless, forcément. S’ensuit un «Spanish Radio» pianoté et chanté sur place, extrêmement orchestré et chargé de pointes de vitesse inespérées. Jimmy Webb sait créer l’événement. Il sait déclencher les foudres de barbarie. Mais sur d’autres cuts, on s’emmerde comme un rat mort, comme le disait si joliment le Professeur Choron. Il finit avec un «Driftwood» puissant, poussé par des vagues orchestrales surchargées qui finissent par convaincre le con vaincu.

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    Jimmy Webb rameute les Webb Brothers pour enregistrer Cottonwood Farm en 2009. Il se niche sur ce brillant album un chef-d’œuvre imprescriptible intitulé «Mercury’s In Retrograde». Jimmy Webb ramène la pop à la dimension du spectacle. Il a compris l’importance primordiale de l’ampleur. Alors chez lui, ça explose au coin du bois - Went drinking on a sunday/ Get out of bed on wednesaday - Quel shoot de pop grandiose ! Une fois encore, il parvient à se hisser au dessus de tout. Il tape aussi dans son vieux «Highwayman», belle pop d’Americana, cette histoire de barrage de Boulder, Colorado, but I’m still around - On note l’excellence de la grande ampleur atmosphérique. D’autant plus adaptée qu’il s’agit d’une histoire de fantôme. Le morceau titre sonne comme un balladif à la dérive insidieuse qui semble s’étendre à l’infini. Douze minutes, c’est le temps qu’il faut à Jimmy Webb pour s’étendre à l’infini. Il passe à la pop de ricochet avec «Bad Things Happen To Good People». Ce gros brouet de banjos et de cuivres est d’une vivacité hors normes. Si vous cherchez la grande pop, elle est là. Jimmy Webb a pompé les trompettes chez les Beatles. C’est de la pop de cinémascope. Spectaculaire, voilà bien le mot. Il revient au vieux «If These Walls Could Speak», hit intimiste et imprenable, joué sur place, à coups de petites volutes enveloppantes. Jimmy Webb se vautre dans le confort familial. C’est atroce et grandiose à la fois.

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    Nouvel exercice de style avec Just Across The River paru en 2010 : c’est l’album des duos. Il reprend tous ses hits en duo avec des personnalités. Le plus spectaculaire est la version de «Galveston» avec Lucinda Williams. Pur jus d’Americana, elle ramène là-dedans toute sa féminité magique. C’est Billy Joel qui se tape «Wichita Lineman» d’une belle voix sensitive et Jackson Browne se tape «PF Sloan». Évidemment, Glen Campbell ramène sa fraise pour Phoenix et en comparaison d’Isaac, il fait un peu petite bite. Le hit du disk se trouve vers la fin : «Do What You Gotta Do». C’est un enchantement. Il fait ses relances à coups de You just do what you gotta do et il termine sur un acte de générosité : See me when you can.

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    On retrouve des duos sur Still Within The Sound Of My Voice paru en 2013, à commencer par le morceau titre qu’il chante avec Rumer. Assez paradisiaque car porté par un souffle orchestral. Ce duo sensible semble s’étendre à l’infini d’un éternel symphonique. Rumer chante merveilleusement bien. Quand on entre dans l’univers de Jimmy Webb, il faut s’armer d’adjectifs. Rumer se veut sourde et profonde. On entend David Crosby et Graham Nash dans «If These Walls Could Speak» et Joe Cocker dans «The Moon’s Harsh Mistress». Difficile de rivaliser avec le géant de Sheffield. Quel shooter ! Jimmy Webb tape «Elvis & Me» avec les Jordanaires, évidemment. Ils nous smoothent bien l’affaire. Ils font les vents d’Ouest derrière le petit Jimmy. Et soudain, ils lâchent des clameurs dignes des Beach Boys. On note d’étranges participations comme celles de Carly Simon, d’America et de Kris Kristofferson (sur «Honey Come Back», ce vieux Kris qui a survécu dans Gates Of Heaven, aw Lord, ces rats d’éleveurs n’ont pas réussi à avoir sa peau). Par contre, le soufflé de «MacArthur Park» retombe un peu, car l’invité de marque Brian Wilson n’y fait que des chœurs trop discrets. L’again oh no ne monte pas. Il ne veut pas monter. Rien à faire. Brian Wilson se contente de faire des petits oooh-oooh. Le pont orchestral de la version originale est joué à coups d’acou. Dommage que le pauvre Jimmy Webb ne puisse pas monter son again oh no là-haut sur la montagne.

    Signé : Cazengler, Jimmy wesch

    Jimmy Webb. Jim Webb Sings Jim Web. Epic 1968

    Jimmy Webb. Words And Music. Reprise Records 1970

    Jimmy Webb. And So On. Reprise Records 1971

    Jimmy Webb. Letters. Reprise Records 1972

    Jimmy Webb. The Naked Ape. Playboy Records 1973

    Jimmy Webb. Land’s End. Asylum Records 1974

    Jimmy Webb. El Mirage. Atlantic 1977

    Jimmy Webb. Angel Heart. Columbia 1982

    Jimmy Webb. Suspending Disbelief. Elektra 1993

    Jimmy Webb. Ten Easy Pieces. EMI 1996

    Jimmy Webb. Twilight Of The Renegades. Sanctuary Records 2005

    Jimmy Webb & the Webb Brothers. Cottonwood Farm. Proper Records 2009

    Jimmy Webb. Just Across The River. Victor 2010

    Jimmy Webb. Still Within The Sound Of My Voice. eOne 2013

    Bill Kopp. Do What You Gotta Do. Record Collector #468 - July 2017

    Dave Dimartino. The Mojo Interview. Mojo #287 - October 2017

    Jimmy Webb. The Cake And The Rain. St Martin Press 2017

     

    14 / 12 / 2018MONTREUIL

    LA COMEDIA

    CRASHBIRDS / TONY MARLOW

    ALICIA FIORUCCI

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    La Comedia renaît de ses cendres peu à peu, les premiers travaux ont commencé, l'insonorisation des sas se précise, et les concerts redémarrent, doucement mais sûrement, déjà deux gigues festives ( vendredi et samedi ) pour terminer cette semaine, ce soir du beau monde les cui-cui qui ont déserté leur nid pour nous donner aubade et Tony le matou marlou à la guitare qui miaule, une affiche de rêve. Que voudriez-vous de plus ? Arsenic dans le champagne, Alicia la panthère revenue exprès pour nous du pays des merveilles et des démons.

    CRASHBIRDS

    Ah ! Cette cloche de vache qui tape sans fin afin de rappeler au troupeau qu'il est temps de quitter les paisibles pâturages pour les abattoirs sanglants, c'est tout les Crashbirds !

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    Ce qu'il y a de terrible avec les Crashbirds c'est que vous ne pouvez pas vous en déprendre, vous emportent avec eux dès la première note, vous ne vous méfiez pas, ne sont que deux, semblent tout doux, tout tranquillous, occupés de leurs guitares, Pierre Lehoulier qui martèle consciencieusement le rythme du pied droit sur ses crashboxes artisanales, Delphine toute belle dans la pluie rousse de sa chevelure au micro. Vous leur donneriez le petit Jésus en personne, d'ailleurs ils commencent avec My Personnal Jesus, semblent vous donner raison, mais à la troisième mesure vous vous apercevez que ça ne sonne pas très catholique, vous vous êtes faits avoir, vous voici dans le deep south, à manipuler les crotales et à réciter les patenôtres de l'évangile du serpent. Ici l'on ne communie pas avec le sang vivifiant du christ mais avec le venin des reptiles. Se hâtent de vous confirmer cette impression cauchemardesque avec Rollin' To The South, trop tard, le vieux blues and roll cradingue vous emprisonne dans les mailles de son filet mortel.

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    L'on n'écoute pas les Crashbirds, on les suit, subjugués. Pierre est à l'entrée du labyrinthe infernal. L'est assis sur son tabouret comme la pythie de Delphes sur son trépied, les émanations délétères émanent de sa guitare, rien de plus simple que le couloir du blues, file tout droit dans des méandres marécageux peuplés d'alligators affamés, au bout de trois circonvolutions reptiliennes, vous ne savez plus où vous êtes, mais la rythmique cadencée des crashboxes vous pousse en avant. C'est sur ce balancement infini que se greffe la trame hypnotique de la guitare, Lehoulier ne sacrifie jamais le coq voodooïque d'un seul coup tranchant de coutelas, préfère lui arracher, un par un des lambeaux de carne, car tant qu'il y a de la vie, palpite encore et encore la communion de la souffrance, la mort n'est qu'un repos immérité. Les Crashbirds sont des vautours qui se nourrissent du cadavre des vivants zombiiques que nous sommes. Faut voir ces remontées de manche de Pierre, le pousse en avant, comme s'il voulait s'en défaire, l'arracher de sa chair, et la note finale se prolonge telle la hampe vibrante de la flèche plantée en cœur de cible. Et le public atteint en son être crie, trépide et trépigne de joie sous ce coup de poinçon infernal.

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    Mais ce n'est pas tout. C'est comme le poème de Parménide, les Crashbirds offrent deux chemins, l'un qui grimpe vers l'extase et l'autre qui descend dans le royaume des ombres. Delphine Viane, souriante et sereine, mais sa voix scalpe et tranche la lumière. Toute droite, vestale sacrée qui entretient les cendres des autels du blues. Un timbre implacable, d'une clarté absolue, qui s'abat en lame de guillotine sur vos dernières illusions. Enonciation des prophéties du désastre assuré. Aucune pitié, aucune rémission, aucune consolation. Crudité et nudité des sentences. Stupidity and Week End Lobotomy au programme. Sa guitare ajoute des éclairs d'airains incisifs et des éclats de bronze primitifs aux litanies tumultueuses du blues.

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    Vous reprendrez bien un peu de sucre du désespoir dans votre rage, insinue-t-elle par son seul sourire. Et les Crashbirds vous emmènent en procession dans un monde ou le bleu d'outremort se confond avec le noir serpentaire originel. La musique des Crashbirds sonne comme une liturgie païenne désespérée dans les culs-de-sacs de notre modernité. Un set de toute beauté, qui vous prend à la gorge, nœud d'angoisse et catharsis souveraine. Un groupe essentiel. Qui a tout compris. Diamant noir. Diamant blues. Ode sonique et péan funèbre aux Europeans Slaves. La lave ravageuse de l'énergie qui bouillonne sous la croûte noircie des illusions perdues. L'incandescence écarlate de la révolte en gestation. Applaudissements nourris d'un public conquis...

    ( Photo 1 : FB : Pierre Saint-Sauveur )

    TONY MARLOW

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    Avez-vous déjà entendu la plainte en contre-rut des matous énamourés en pleine nuit sous la pâleur insidieuse de la lune ? Cela vous remplit l'espace nocturne à des kilomètres à la ronde. Stridences faméliques et rugissements somptuaires se succèdent. Une symphonie catacombique qui agit comme un détergent sur votre âme. Ne sont que trois, mais ils vous alignent toutes les cartes biseautées du rock'n'roll en moins de deux. Tout de suite, Tony vous boulonne le guidon au plus haut, chopper à la runnin'death, et c'est parti pour un Rendez-vous d' amour et de haine à l'Ace Cafe. Un instrumental, rien de pire pour vous faire vrombir une guitare. D'autant plus que Fred et Amine n'ont aucune envie de voyager sur la selle arrière. Fred vous file trois coups de semonce à vous brûler les sangs. Z'avez l'impression qu'il cogne sur votre peau, vous ne vous y attendiez pas, trompe bien son monde avec ses yeux clairs et son auréole de cheveux blancs, l'allure d'un sage, une frappe de voyou, qui court au baston, une bate de base-ball dans chaque main. J'ai le regret de vous l'annoncer Amine ne vaut guère mieux, un enragé, l'a dû se tromper de soir, l'a cru que c'était son jour d'entraînement de boxe, je vous raconte pas ce qu'elle a pris la big mama, elle a tonné toute la soirée, en plus parfois il s'énervait grave, vous aviez presque envie de la lui retirer des mains, elle a barri comme un troupeau d'éléphants de mer. Vous dîtes que le Marlow, un demi-siècle à bastonner sur toutes les scènes d'Europe, il leur a conseillé d'y aller tout doux, mollo sur le chamarlow qu'il leur a crié, point du tout, un incendiaire, un jusqu'auboutiste, un sicaire du rock'n'roll, sa guitare a carillonné à toute blinde sans repos. Un son monstrueux, genre symphonie fantastique ou concerto tonitruant à elle toute seule. Une épaisseur sonique confondante, avec les deux autres mousquetaires qui vous filaient des coups de bélier à effondrer les murs les plus épais des citadelles les plus inaccessibles, je vous parle pas du ramdam et la folie collective qui s'est emparée de la foule.

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    En plus Tony, il a l'aisance et l'innocence diabolique du chat qui vient d'avaler tout cru le canari, les plumes dépassent encore de sa bouche, il s'en vient ronronner sur vos genoux. L'est tout juste sorti d'un riff monstrueux, qu'il se tourne vers vous et que d'un doigts fragile comme un pétale de coquelicot il vous isole une toute petite note toute mignonnette et gentillette, alors qu'il est en train de préparer une explosion nucléaire de son autre main, et les deux acolytes qui s'étaient arrêtés afin que vous puissiez vous extasier sur la corolle tremblotante de la première perce-neige du printemps vous font illico déferler une tempête d'équinoxe dans les oreilles.

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    Le grand jeu. Tony revisite son répertoire. Nous emmène bricoler dans le garage de la voisine, mais quoi qu'il en dise, l'est beaucoup plus vicieusement rock'n'roll que sainte n'y touche troubadour. Chante en français, velours du timbre et griffe acérée du cachet faisant foi de veau sanguinolent. Qui a dit que le rock'n'roll français se chantait en français ? Tony, nous en administre la preuve avec, in his original language, Jumpin' Jack Flash. Une version démente à la démonte-pneu, et l'Amine qui mine de rien vous fait oublier qu'il joue sur une contrebasse, vous imaginez la parade, s'est branché dans sa tête sur le balancement de guingois et primal de Charlie Watts, et tangue la galère, Fred qui cloque et disloque les œufs à la coque, ça cogne à bâbord. Mais le trio infernal nous ménagera en cours du set encore quelques surprises. Un Born to be Wild, empli de hargne et de fureur, et la big mama qui se met au heavy metal comme si elle avait été fabriquée spécialement pour ce genre de music. Le coup de grâce viendra de l'injun fender, le Purple Haze d'Hendrix, la guitare claire de Tony se gorge de sang noir et sauvage. Et à certaines découpes du morceau, z'avez l'impression d'entendre Cream jouer. Tout ça, avec un trio de base rockabilly, Tony et ses sbires nous esbrouffent.

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    ( Photo : FB : Hélène Desaegler )

    Mais cela ce n'est rien. Tony est en grande forme, il a la guitare qui flambe, nous strombolise d'une manière des plus éruptives un Stumble démoniaque et nous restituera sur le final, The Missing Link que les savants du monde entier recherchent au travers de toute la planète alors qu'il se trouve dans la guitare de Tony Marlow. La salle est en ébullition, mais Tony ouvre la cage aux fauves...

    ALICIA FIORUCCI

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    T-shirt noir, pantalon léopard, cheveux bruns mi-longs, corps gracile de gamine perverse, Alicia Fiorucci, est sur scène, telle le désir qui court en votre sang et mène le monde en sa perdition, même pas le temps, souffle coupé d'une telle présence, d'appréhender sa silhouette en votre regard qu'elle entonne Breathless. A la crazy jerry louve affamée, une version ardente et enfiévrée, mines obliques et poses osées, la flamboyance rock'n'roll dans toute sa splendeur, cette manière de s'arrêter deux doigts d'innocence de pétroleuse au bas du pubis, qui font signe, délicieusement fille, offrande et refus, les guys derrière qui brûlent la rythmique et la guitare de Tony qui ponctue le chaos. Pas de temps à perdre, Alicia vous envoie les uppercuts de Johnny Got a Boom-Boom, à fond la caisse pour Fred, au fond de la mine d'or des dérapages incontrôlées pour Amine, la guitare de Tony en apnée sauvage. Termine sur I Fought the Law repris en chœur par l'assistance en délire, le micro obséquieux s'égare dans l'entrecuisse et tous les rêves du rock'n'roll s'envolent comme nuées d'oiseaux prédateurs des cerveaux en ébullition des gals and boys sous pression qui tanguent vertigineusement. Trois versions à l'arrache-sexe, que du bonheur !

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    Elle reviendra pour le rappel, la diablesse en personne d'abord, une mignardise vicieuse comme vous n'en avez jamais imaginé, avec les trémolos de guitare de Tony qui s'enfoncent comme les épingles dans les seins de la servante aux premières lignes de l'Aphrodite de Pierre Louÿs, et puis sur I Need A Man, un fanatique enthousiasmé n'hésitera pas à se prosterner pour que la lanière de la ceinture de Maîtresse Alicia ne fouette pas l'air en vain et trouve consentement fulgurant. Alicia la délicieuse, Alicia la délictueuse, descend de scène en toute simplicité, heureux ceux qui ont aperçu l'éclair de satisfaction illuminer fugitivement ses yeux verts de panthère.Rock'n'roll Princess for ever !

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    DERNIERS K.O.

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    Mais ce n'est qu'un début, continuons le combat. Tony nous profile deux morceaux des Stray Cats, en ombre chinoise, sur les pentes glissantes des toits enneigés, puis en hommage à Johnny Thunders, l'inimitable, You Can't Put Your Arms Around A Memory, parce que les rockers n'oublient jamais, et l'on plonge tout droit dans une transe collective, Tony couché par terre, avec rappels en rallonge, deux Creedence, Delphine Viane menant la charge royale sur Proud Mary, une dernière attaque du train de Johnny Burnette, l'on pense qu'il n'y aura pas de survivant, mais Tony nous offre un premier cadeau de Noël, rien de moins que Le Cuir et le Baston, toute une partie de la jeunesse éternelle du rock'n'roll.

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    Pleuvent les mercis et les embrassades. Tony Marlow félicité et courtisé comme la Duchesse de Guermantes dans la Recherche du Rock'n'roll perdu, enfin retrouvé.

    Une soirée de rêve. Viva La Comedia !

    Salut spécial à Mimile Rock et David Costa.

    Damie Chad.

    ( Toutes les autres photos sauf indication contraire : FB  : David Costa )

    BLACK

    BUSTY

    ( Naïve / 2012 )

     

    J'aime Busty. Evidemment c'est un fantôme. Dans la vie courante, pas du tout intéressante, elle se nomme Laure Catherine, elle est romancière. Mais Busty c'est une autre dimension. Elles est journaliste à Rock & Folk, l'a beaucoup écrit sur Peter Doherty, personnage un peu trop pathétique à mon goût, et surtout Groupies paru chez Scali en 2007, du coup je la considère en notre pays comme la Simone Beauvoir du rock. A cette nuance près, qu'elle écrit mieux et qu'elle raconte des profils de femme moins nœud-nœud que la Simone Bavoir comme l'appelait Céline.

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    Belle couverture – concept graphique de Marianne Ratier - mais qui trahit quelque peu l'obscure noirceur du titre. Je ne vous apprendrai donc rien en vous disant que l'héroïne du bouquin s'appelle Amy Winehouse. Pas une biographie. Plutôt une intro-spectographie. Busty a sorti le grand jeu. S'est immiscée à l'intérieur du sujet. Le rock et le vaudou ont toujours fait bon ménage. Dans quelques temps, la science-no-fiction nous aura concocté un mini-appareil que l'on transportera au fond de notre poche et qui nous permettra de saisir les pensées des individus qui passeront dans notre champ de vision. Bonsoir l'intimité ! Busty a donc décidé de remplacer cette future invention, de se glisser dans la peau ( ici très tatouée ) d'Amy, de s'installer dans la chambre forte de son cerveau – un véritable cerviol – et d'en prendre les commandes. Est-ce Amy qui cauchemarde devant nous, ou Busty qui rêve qu'elle est Amy. Quoi qu'il en soit dans la série faisons Amy-Amy, vous ne trouverez pas mieux.

    Une sacrée gageure d'écrivain. Quatre cents pages, et vous ne vous ennuyez pas une seconde. Perso, je répugne à me pencher sur moi-même. Au début l'on se prend pour Victor Hugo à l'écoute de la bouche d'ombre. L'on est sûr que le gouffre est peuplé de monstres effroyables. La psychanalyse vous promet des monts et merveilles. Les gogos y laissent au minimum une centaine d'euros par semaines. Payent pour scruter au fond d'eux-mêmes la fripouille métaphysique qu'ils espèrent être. Vous désirez voir le léviathan et vous n'apercevez que trois ou quatre têtards qui barbotent dans un marigot en voie avancée d'assèchement. Vous voudriez être sûrs qu'au fond de vous-mêmes vous avez l'étoffe d'un serial-killer alors que vous n'avez même pas réussi à tuer votre père ni même à violer votre mère. Vous espériez du grandiose, une super production, du Lawrence d'Arabie à la puissance 1000, et vous n'avez droit qu'à un scénario insipide d'un couple qui se déchire dans un deux-pièces-cuisine.

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    Quand on est déçu par soi-même, l'on cherche à se remonter le moral, certains – par exemple Amy Winehouse – sortent du lot, elle chante à merveille, elle exprime trop bien et trop justement notre insatisfaction, pour ne pas posséder une sensibilité extraordinaire et une personnalité hors du commun. Busty dégonfle la mandragore. Un gros problème, l'Amy, un truc qu'elle ne parviendra pas à surmonter. Très simple, très commun. Ordinaire. Pas de quoi en faire une montagne. Alors elle en creuse un grand trou pour s'y enterrer tout au fond. Le divorce de ses parents. A peine une craquelure, une fissure. Un effondrement pour Amy. L'enfant ne l'admettra jamais. Marquée au fer rouge. Ferait mieux de remballer au fond de sa poche et le mouchoir par-dessus. Bien enfoncé. Mais non la brisure est là, se transformera en faille. Et il faut vivre faille que faille !

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    ( Amy + Peter Doherty )

    Le psy de service vous parlera de souffrance, de douleur. Vous conseillera de faire votre deuil. Le leurre du deuil, il est de Bonnefoy, ne l'écoutez pas, il n'est pas poëte. Mais non, le pire pour Amy c'est que ça ne fait pas mal, pas tant que cela, qu'elle a survécu, ce n'est pas allo-maman-bobo mais hello-papa-je-m'emmerde. La vie a perdu son relief. Waterloo morne plaine. Morne peine. Heureusement qu'il y a des dérivatifs, l'adolescence, l'alcool, le sexe, la musique. Le plus excitant des ces quatre chevaliers de l'apocalypse c'est le premier. L'ado en a plein le dos, mais au moins, on découvre, on essaie, on teste, on tente. Les résultats ne sont pas souvent au-rendez-vous mais tant qu'il y a de l'espoir il y a de la vie. Le plus terrible c'est que ça passe. En règle générale on rentre dans la grisaille de la vie.

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    Gros problème pour Amy. C'est la vie en rose qui s'offre à elle. Elle enregistre un disque, l'est parvenue à faire ce qui lui plaît, ce pour quoi elle se sentait la mieux douée, l'en est toute fière, mais le banco sera la deuxième galette. Un raz-d-marée. Qui ravit tout le monde. Le populo et le peuple du rock. Peut enfin vivre comme elle l'aime, des chignons plus haut que la tour Eiffel, des tatouages plus voyants qu'une exposition de Picasso. Un véritable conte de fées. Et en plus, l'incroyable arrive. Le prince charmant en personne. Au moyen-âge on l'aurait identifié tout de suite comme le félon, le prince noir, facile son nom est un véritable panneau publicitaire : Blake.

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    Blake, le grand amour, celui qui lui fait le mieux l'amour. Avec lui, Amy se sent bien. L'ennui s'est enfui et avec lui ce qui succède à l'ennui : l'angoisse. Pas tout à fait. Mais pour le moment Amy n'y fait pas gaffe. L'est tout beau, le tout nouveau. L'aime rire, s'amuser et les excitants. Un merveilleux programme. Un menu uniquement composé de desserts. Et de désert, parce que c'est comme dans la chanson de Téléphone, il s'en va avec la belle au bois dormant. Une blondinette toute mignonnette. L'Amy l'est une brunette un peu maigriotte et les goûts et les couleurs ne se discutent pas.

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    L'as de cœur s'est fait la belle et Amy réagit mal. L'est devenue addict : alcool, crack, héro... de la camelote. Ce n'est pas le plus grave. Amy est avant tout addict de Blake. L'a dans la peau, ne peut pas se le sortir de la tête. Est incapable d'extirper la bête. Un alien au sourire enjôleur. N'est pas naïve non plus. Connaît tous ses défauts. L'est un menteur, ne suit que ses envies. Quand il ira en prison, elle jouera le rôle de veuve éplorée, quand ils se marieront elle saura que l'embellie sera passagère, quand il reviendra elle ne sera pas dupe de son prochain départ, il la trompe, pour lui la vie est ainsi, il l'aime bien mais point trop n'en faut. S'expulsera tout seul de sa vie mais jamais de ses pensées. A part que l'on vit ce que l'on pense...

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    S'il n'y avait que Blake ! Les autres pullulent, sa maison de disque qui couve sa poulette aux œufs d'or qui manifeste une sacrée tendance à refuser le poulailler, son père qui la surveille de près, qui s'inquiète de son état dépressif et addictif qui va croissant, les fans et les inconnus qui lui demandent des autographes dès qu'elle a le nez dehors, les paparazzis qui montent la garde devant sa porte... La gloire et l'argent apportent aussi quelques désagréments, le sentiment de perdre sa liberté, d'être prise dans un faisceau d'obligations de plus en plus contraignantes, et contradictoirement la facilité de faire ce que l'on veut, de se procurer sans danger tout produit illicite, et surtout de semer le scandale à chaque apparition publique, on lui pardonne tout parce qu'elle est Amy, on lui reproche tout parce qu'elle est Amy, allez vous dépatouiller avec ces nœuds coulants.

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    Le coup de grâce viendra de Blake, fera un enfant avec une autre. Elle qui avait tant rêvé de la petite maison, du petit mari et de l'élevage de gamins, une midinette au fond du cœur, pour un peu on pleurerait, mais non, c'est cette vie de cloportes qu'elle a fuie, pas assez excitante. Ennuyeuse, angoissante. Et le cycle de l'impossibilité tourne en boucles. Et vous suivez Busty comme le chien court après son os. En plus vous connaissez la fin, tant pis vous irez jusqu'au bout de l'enfer. A part que les fournaises du diable ne vous réchauffent guère, Amy tourne en rond, et Busty vous mène rondement l'affaire. Les vingt-sept années de déréliction d'Amy sont beaucoup plus jouissives que les vingt-quatre heures de l'Ulysse de Joyce – le projet d'écriture en est très voisin – l'autoroute se termine en cul-de-sac, le voyage au bout de la nuit finit en rase campagne dans le grand nulle part. Même pas mal. La petite fille s'endort au fond de son lit. Au fond d'elle-même. C'est toujours là qu'on est le mieux.

    Damie Chad.

     

    BURNING HOUSE : HOWLIN' JAWS

    CLIP / LEO SCHREPEL

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    Encore une fois l'on mord à l'hameçon des Howlin Jaws. Viennent de sortir un nouveau clip sur le deuxième morceau de leur Ep : Burning House. Ne faites pas les blasés, un clip de plus ou de moins dans la flopée myriadique qui sort chaque jour, pas de quoi révolutionner le monde. Sûr, mais les Howlin' ils les peaufinent leurs clips, nous en avons déjà kroniqués quelques uns, mais là ils ont passé la main à Leo Schreppel. Un pro. C'est simple : z'ont tapé dans l'esthétique. Le truc où vous n'avez droit qu'à la réussite. Toutefois rappelons avant que vous ne vous précipitiez dessus que Burning House malgré son titre qui vous promet la maison dévorée de flammes aussi hautes que la tour Eiffel, c'est plutôt le feu qui couve sous la braise, le snake sans fin qui rampe en prenant son temps.

    Voilà j'ai tout dit. A vous de voir. En fait il n'y a rien à voir. Schrepel ne se vous tombe dessus comme un schrapnel, vous vous attendez à un clip-catastrophe, style NYC in flames, et à part une cigarette allumée, pas de quoi déranger les pompiers. Ne joue pas au pyromane le Schrepel, n'utilise pas les grands moyens. Même les Howlin adorés, c'est à peine si leurs fantômes d'images vous sautent aux yeux, à peine entrevus, hop ils sont déjà partis. Manipulations d'icônes ou engrammes spermicieux, je vous laisse choisir. J'ai oublié de préciser, l'a blacklisté la couleur notre réalisateur. Oui c'est du noir et blanc. Peu porteur, peu commercial, pour les paillettes vous repasserez. Oui, mais c'est beau et mystérieux comme du F. J. Ossang. L'on fait confiance aux regardeurs pour comprendre le scénario. Essayez d'être attentifs aux signes. A vous de construire l'histoire. Pour qu'elle ne soit pas trop moche, évitez qu'elle ne vous ressemble. Ça c'était pour le noir. Pour le blanc. Suivez la femme-fantôme, en l'occurrence Marie Colomb, avec elle vous découvrez l'Amérique, toute blanche, toute blonde, mystérieuse et pulpeuse comme une fille-phantasme, peut-être vous accordera-t-elle un sourire dans la dentelle du lit qui s'abolit dans le poème de Mallarmé. De toutes les manières vous avez mieux à faire qu'à vous livrer à vos turpitudes masturbatoires. Regarder le clip une nouvelle fois par exemple. Faites gaffe le rock'n'roll rampe sur le plancher. Le serpent jawique du rock peut encore tuer. Morsure mortelle.

    Damie Chad.

     

    TREAT ME RIGHT / HI-TOMBS

    ( Hi-Tombs2014 )

    Junior Marvel : lead vocal + rhythm guitar / Mike v Lierop : lead vocal + double bass / Fredo Minic : lead vocal + backing vocal / Henk v Lieshout : drums + backing vocal

    Pochette minimaliste. Noir et blanc. Quatre hommes. Quatre musiciens, dans une pièce, devant le van pourrave, quatre silhouettes qui se profilent dans le haut d'un escalier. Sans concession, le rock dans sa force brute.

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    Lovin' man : Une voix rêche et un batterie qui bat le rappel, un solo de guitare qui éparpille les jonquilles, Marvin qui vous sourit du gosier, la guitare qui remet cela et la voix de Marvin qui cligne de l'oeil. Attention demoiselle. Pesée et emballée. Cela suffit. Rock rock : il y avait un soupçon d'ironique tendresse dans le titre précédent, mais maintenant c'est beaucoup plus méchant. Date on the corner : ce petit parfum de country, le gars s'approche de la fille, descend tout droit de la campagne, il sent un peu la vache, mais aussi beaucoup le sauvage. L'affaire est conclue en moins de trois minutes. Blue fire : les feux les plus dévastateurs sont souvent les plus sympathiques quand ils commencent, de jolies petites flammes bleues toutes tendres comme l'amour, nos rockers font les cacous, ne cédez pas à leur indolence, ils sont irrémédiablement des charmeurs dangereux. Gonna love you : une poussée de fièvre est signe de bonne santé. Vous troussent le jupon joliment, vous avez de ces émissions spermatiques de guitares des mieux envoyées, et derrière la basse bat la mesure comme la queue du chat qui s'apprête à bondir sur la souris. Prend son temps. C'est encore meilleur. Treat me right : un petit classique, c'est comme une fournée de jack derrière la glotte pour nettoyer les amygdales, les Hi-Tombs vous le font en compressé, ne vous laissent pas respirer une seconde. Vous barrent le chemin et vous forcent à les suivre. Fin brutale. Rock with me baby : un vieux bop des familles qui vous ramone la cheminée à la manière d'un hérisson géant. Beau travail syncopique de caisse claire et saupoudrage mortel de dégelées de guitare. Shake it up and move : un peu plus d'électricité n'a jamais tué personne, l'on resserre les écrous et la visseuse vous solidifie les os du crâne, y a quand même ce tambour qui tape sur votre tête et la voix qui vous démantibule les mandibules à vouloir l'imiter. Rock pretty mama : toujours aussi vite, mais encore plus dur, la pretty mama est maneuvrée à la barre à mine, ne s'en plaint pas si l'on en croit l'emballement jouissif des guys. Love crazy baby : rien à dire, l'amour les rend madurle, ils en rajoutent, un balancement des mieux venus, grande houle et force 10. As my heart is to you : petit tapotement joyeux au début mais la voix en urgence absolue comme si elle voulait bouffer le micro et la guitare qui vous hache le parmentier ne vous laisse jamais de doute. Du Buddy Holly survitaminé. You don't love me : mauvaise nouvelle, pas grave un des meilleurs morceaux du scud, pas de quoi se jeter par la fenêtre ou alors pour le plaisir de faire des loopings et aller se poser sur le toit du monde, manière de titiller l'ironie des situations les mieux venues. Green back dollar : qui résisterait à cette belle couleur verte. Derrière ils font des choeurs comme dans les années soixante mais bientôt vous avez l'impression que la guitare est en train de commettre un hod-up dans la banque d'à-côté. Ça a l'air de les émoustiller. Une véritable appropriation collective. Flat black cadillac : maintenant qu'ils se sont procurés le fric, ils ont la cadillac. Z'auraient pu tout de même apprendre à conduire, car ils roulent sur tout ce qui passe à leur portée. Un cruisin' dévastateur. Le summum du disque. Les oeufs cassés de l'omelette atomique. Crazy baby : suffit d'une fille pour mettre le feu aux poudres. Plus elles allument, plus le bâton de dynamite entre en turgescence. Une véritable profession de foi. Comme vous aimez vous le faire confirmer, vous remettez le disque au début.

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    Un rock sec et dur sans concession. Esprits mièvres s'abstenir. Une merveille. Supplément d'âme en fin de parcours, ils vous remettent un petit Treat Me Right, le même, mais en plus sauvage.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

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    EPISODE 12 : THE END

    ( finalo majestuoso )

     

    Le président sortit une feuille de papier de sa poche et s'éclaircit la voix :

      • Hum, hum, voici la lettre que les parents des deux petites filles retenues en otage par les terrockristes nous demandent de lire : '' Aujourd'hui la France vit des heures terribles. Un groupe de terrockristes qui refusent de se rendre nous obligent à faire don à notre pays de nos deux petites filles, c'est l'âme déchirée que nous demandons à notre cher Président bien-aimé de faire feu sur ce nid de frelons et de félons. Nos deux petites filles sont perdues, leurs bourreaux les font boire et fumer, d'ici quelques heures nous n'osons pas penser à quoi ces brigands voudront les initier, nous les préférons mortes que vives et impures. Nous sommes sûrs que Dieu exige de nous cet ultime sacrifice. Lorsque celui-ci sera consumé, nous saurons que nos enfants chéris auront rejoint leur grande sœur, elle aussi assassinée en d'atroces circonstances, auprès de la Sainte Vierge. Pour nous, nous faisons vœu de nous retirer jusqu'au jour où notre bienfaiteur nous aura définitivement tous réunis, tout là-haut en la Sainte Demeure du Paradis, dans un monastère et de finir notre vie dans la prière et le silence. Au revoir et à bientôt mes chéries.''

    A peine eut-il fini la lecture que la mine grave du Président s'éclaira d'un sourire jovial.

      • Voilà, c'est fini, encore quelques secondes et toute l'affaire sera terminée. Je compte jusqu'à trois et feu à volonté. Un... Deux... Deux et demi... Deux trois-quarts... tant pis pour eux, c'est bien fait pour vous... trois !

    Rien, pas seul militaire ne pressa sur une quelconque gâchette. Manifestement la troupe refusait d'occire les têtes blondes. Le Président piqua une grosse colère. Une vraie, une ire de névropathe.

      • C'est bon puisque vous ne voulez pas, j'y vais tout seul.

    Une demi-douzaine de gendarmes lui emboîta le pas, fusil-mitrailleur au poing. Mais dès qu'il fut à trois mètres' il se retourna et leur intima l'ordre de l'attendre jusqu'à ce qu'il revienne.

     

    UNE VISITE ABRACADABRANTE

    Nous l'attendions tous sereinement. Tout au fond dans l'arrière-cuisine les quatre Eric entreprenaient la confection de pizzas sous les avis rébarbatifs de Cruchette qui entendaient que les hommes mettent désormais la main à la pâte. Marie-Ange et Marie-Sophie assises à une table dessinaient avec application Molossa qui faisait la belle enchantée de leur servir de modèle. Alfred dictait à sa secrétaire qui le tapait frénétiquement sur son portable le contenu de son prochain article. Pour ma part je continuais la rédaction de mes Mémoires pendant que par-dessus mon épaule Claudine vérifiait mes fautes d'orthographe. Darky s'était paisiblement allongée sur le comptoir derrière lequel Popol, les deux mains sur les hanches, le sourire carnassier du petit commerçant sur les lèvres semblait attendre le client. Le Chef tirait sur son Coronado...

      • Agent Chad, ouvrez la porte s'il vous plaît, un visiteur de marque nous arrive !

      • Ah ! Ah ! Je vois que l'on commence à me marquer du respect l'on m'ouvre le portillon lorsque je veux rentrer ! Trop tard, vous allez tous mourir. Ma garde personnelle de gendarmes m'a promis de m'être fidèles jusqu'à la mort même si j'appuyais sur la bombe atomique. Ils n'espèrent que mon ordre pour tirer. Toutefois, avant de leur donner ce plaisir je tiens à boire un verre de ce fameux Moonshine Polonais, dont tous mes collaborateurs me vantent le mérite. En tant que président je ne pouvais décemment tremper mes lèvres dans un alcool de contrebande, mais comme personne ne le saura, tavernier, versez-moi un verre de Moonshine et plus vite que cela.

      • Hélas, Monsieur le Président ces bois-sans-soif ont tout éclusé. Toutefois en cherchant bien, il me semble qu'il devrait en rester une bouteille dans la cave. La trappe sur votre gauche, Monsieur le Président ! Je vais vous la chercher !

      • Mais non, mais non, un peu d'exercice ne me fera pas de mal, j'y vais... Je suis sûr que vous tentez de m'embobiner, vous allez revenir avec du pipi de chat, je m'en charge !

    Le Président releva la trappe, appuya sur le commutateur et entreprit de descendre les escaliers... l'on entendit ses pas décroître, une espèce de frôlement et puis plus rien... Le Président avait-il succombé à la tentation, ou dévoré par une soif ardente têtait-il goulument au goulot son litre de Moonshine... Sans doute avait-il un peu exagéré et avait-il l'alcool triste car des pleurs se firent entendre...

      • Beuh ! Beuh ! Beuh !

      • Quelle femmelette ! grogna Cruchette

      • Mais non c'est Nestor, Cruchette passe-moi le Nabuchonodosor, dans le placard de droite.

    Nous étions tellement tenaillés par la curiosité que Cruchette en oublia de lui faire remarquer que si la femme est l'avenir de l'homme elle n'en est pas pour autant l'esclave. Popol nous conseilla de ne pas descendre avec lui, il s'assit tout en bas sur la deuxième marche et tout doucement comme l'on parle à un bébé de huit mois :

      • Totor, mon petit Totor, viens ici, je sais que tu as soif... une monstrueuse gueule noirâtre se posa sur les genoux de Popol, oh ! Le gros vilain, il a soif, il lui faut son biberon de Moonshine après son repas... durant cinq minutes l'on entendit le glouglou du nabuchonodosor qui se vidait... c'est Totor, l'alligator du cirque ZAVATIPAS, me l'ont refilé tout petit, d'abord je l'ai mis dans ma baignoire, puis à la cave c'est qu'il mesure sept mètres de long maintenant, il m'adore, et l'endroit lui plaît, ça y est c'est fini, laissons-le tranquille, il a sommeil.

    Au bout de deux heures un gendarme vint frapper à la porte.

      • On ne voudrait pas déranger Monsieur le Président, mais ça fait cent quarante-sept minutes qu'il est avec vous ! Monsieur le Président ?

      • Vous savez dit Popol, il est sorti par derrière. Il y a une porte secrète qui donne dans une rue parallèle. Mais je vous en prie visitez la maison, regardez partout, n'oubliez pas la cave, je vous éclaire...

    Les six pandores fouillèrent partout. Ils ne trouvèrent rien. Devant le café l'on commençait à trouver le temps long. Bientôt un escadron de gendarmerie inspecta la maison centimètre par centimètre. Ils allèrent jusqu'à retourner les pizzas... En vain. Les conseillers du Président couraient partout, dans le tumulte le Chef savourait un sourire énigmatique et ses Coronados... Sa sphinxitude finit par agacer les conseillers. Mais le Chef ne voulut révéler qu'aux caméras du Journal Télévisé ce qu'il savait :

    - Notre Président bien-aimé est bien rentré chez Popol. Nous avons longuement discuté avec lui. Nous lui avons démontré que ses Services Secrets suivaient une fausse piste. Nos arguments furent si probatifs qu'il en conçut un grand dépit. Il a compris notre innocence, mais malade de honte de s'être laissé berner par des conseillers incapables, il nous a déclaré qu'il ne se sentait plus digne de gouverner notre pays. Pensez qu'il a été jusqu'à tuer une jeune artiste de grand talent pour récupérer une K7 qu'il avait prévu de faire écouter au grand public au JT afin que le pays se rende compte de l'inanité décadente des paroles. Il a reconnu que son geste était odieux. Que d'autres plus capables que moi prennent la relève, ce fut son dernier message, il m'a serré la main une dernière fois, s'est excusé de tous les divers déboires dont le Service Secret du Rock'n'roll avait eu par sa faute à pâtir et est sorti par la porte secrète de la rue de derrière, celle si bien camouflée en mur de ciment dont aucun voisin ne s'est jamais rendu compte de l'existence. Voilà, nous sommes face à une crise institutionnelle d'un genre nouveau qui mérite calme et méditation. Mes chers concitoyens prenez soin de vous, évitez le cancer, fumez des Coronados.

     

    DERNIERES NOUVELLES

    Les Swarts sont repartis, ils ont emmené Cruchette avec eux. Aux dernières nouvelles après avoir tenté de percer dans le punk hardcore, elle s'est reconvertie dans la restauration. Elle tient la plus grande pizzeria d'Oslo, une nouvelle formule, des pizzas de deux mètres de diamètres sont servies sur de grandes tables autour desquelles la clientèle s'assoit et papote gaiement. Le plus grand site de rencontres norvégien. Une unique boisson : le Moonshine Polonais, livrée directement par la Sarl ( Société à Responsabilité - très - Limitée ) Popol and Cie, qui exporte du Moonshine dans le monde entier et qui vient de rentrer au CAC 40. Les parents de Maie-Ange et de Marie-Sophie ont récupéré leurs filles à la condition expresse que Molossa soit invitée tous les dimanches. Faut reconnaître qu'ils ont fait des efforts, se sont mis à la page, le père fume des Coronados et la mère a remplacé les calmants par le Moonshine depuis elle voit la vie en rose bonbon et pourrit les gamines qui n'ont jamais été aussi heureuses. Claudine est retournée à ses études de médecine, elle ne veut plus de moi, elle dit que le soir je passe davantage de temps à rédiger mes Mémoires qu'à m'occuper d'elle. Bon prince, avant de la laisser tomber je lui ai expliqué pourquoi la douane et la gendarmerie n'avaient jamais attrapé Nestor.

      • Très simple, ma Claudinette, sous l'escalier tu trouveras un trou étroit qui n'a l'air de rien. C'est le passage de Nestor, s'y sent bien, il chasse les rats, tu sais sous la bonne ville de Provins, il existe des centaines de caves qui communiquent entre elles, de temps en temps par des soupiraux tu peux avoir accès à la Voulzie qui traverse la ville, plus des nappes phréatiques souterraines, la ville est bâtie sur des piliers de bois enfoncé dans un marécage. Un paradis pour un alligator, à côté les bayous de la Nouvelle Orleans c'est de la gnognote, un réseau inextricable de galeries, pour la petite histoire, la dernière trace du trésor des Templiers a été localisée sur Provins, depuis mystère, si tu veux chercher, l'on a recensé des ouvertures de certains boyaux plus ou moins effondrés à quarante kilomètres de la Cité....

    Alfred est devenu rédacteur en chef. Le plus marrant c'est l'article qu'il avait rédigé lors de la mystérieuse disparition du Président. Sur les ronds-points et dans les grandes villes des millions de manifestants ont défilé en scandant : Lechef président ! Lechef président !

    Quand je pense que j'ai failli devenir premier ministre et Molossa présidente de la SPA, mais le Chef est un sage, il a refusé quand il a appris que l'on ne pouvait pas fumer à l'Elysée. L'a toutefois été obligé de donner une nouvelle allocution officielle, dont je vous retranscris le début :

    Chers Coronadoriens, Chères Coronadoriennes,

    Je n'ignore pas que de partout des voix s'élèvent et m'engagent à prendre les rênes du pays. Je vous remercie, mais je ne suis qu'un soldat du Rock'n'roll. Tout ce que je peux vous promettre, c'est que vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, car à la tête du Service Secret du rock'n'roll, je veille. Tant que je serai vivant...

     

    La déception populaire fut immense, il y eut des suicides collectifs, mais Le Chef tint bon, et bientôt tout se calma. Tiens je m'aperçois que pour une fois je ne parle pas de moi. Que suis-je devenu ? Je suis toujours l'agent Chad irremplaçable. Car si le Chef pense, moi j'agis telle la foudre. Il est vrai qu'après tout ces temps troublés la situation est devenue léthargique. Molossa dort sur mes pieds, je profite de ce calme – qui précède la tempête – pour recopier le premier chapitre de mes Mémoires. Je ne peux résister à vous en dévoiler la première page :

    PREAMBULE O

    ( Scherzo Moderato )

    CHEZ POPOL

    Six heures du matin. Molossa trottine à mes côtés. Lecteurs ne soyez pas étonnés de cette heure matinale, les rockers ne dorment jamais. Je me dirige vers chez Popol, le seul café digne de ce nom sur Provins. Pensez que le verre de Jack est à deux euros et que Popol ne mégote pas sur la quantité, vous en verse des godets de 33 cl sans ciller. Vous connaissez mon désintéressement légendaire, je ne saurais m'attarder à de matérielles considérations si bassement économiques. D'ailleurs chez Popol, pour moi, tout est gratuit, ce serait insulter Popol que j'osasse lui tendre un centime.

    ( … )

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 210 = KR'TNT ! 329 : JIM JONES & THE RIGHTEOUS MIND / THE INFERNAL / THAT'5 ALL / HOXLIN JAWS / BIG BOSS MAN / LES GRYS-GRYS / WHO

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 329

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    18 / 05 / 2017

    JIM JONES & THE RIGHTEOUS MIND

    THE INFERNAL / THAT'5 ALL / HOWLIN' JAWS

    LES GRYS-GRYS / WHO

    Me and Mr Jones

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    Ce Mister Jones ne sort pas d’une chanson de Billy Paul mais du sérail londonien, certainement la meilleure école de rock au monde. Non seulement Jim Jones affiche un sacré pedigree, il semble en plus atteindre une sorte de maturité cabalistique, au sens du boogaloo du terme, bien entendu.

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    En réalité, cette forte impression de maturation émane d’une remise à plat du système Jim-Jonien. Après s’être livré à quelques stoogeries au temps des Hypnotics, il s’est ensuite amusé à ré-inventer la dynamique du blues-rock défenestrateur avec Black Moses. Puis il s’est cru autorisé à penser qu’il pouvait rivaliser avec Little Richard, ce qui fut bien sûr une grave erreur, car personne ne peut rivaliser avec Little Richard, surtout pas un petit cul blanc, aussi bien intentionné soit-il. C’est même une aberration que d’avoir cru ça possible. Alors, pour sortir de cette impasse et se débarrasser des oripeaux qui l’empêchaient de redevenir Jim Jones, il fallait refondre le bronze des statues. Enfin débarrassé de ce pianiste qui figeait la formule, Jim Jones put reprendre son élan. Exit the Jim Jones Revue.

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    Son nouveau groupe s’appelle The Righteous Mind. Ça doit bien faire la troisième fois qu’on les voit sur scène : un premier set gratuit à Beauvais, un deuxième à l’Abordage et un troisième au Petit Bain qui coïncide avec la parution d’un premier album très attendu, et même extrêmement attendu, car les deux sets pré-cités en firent baver plus d’un.

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    Le son du nouveau groupe n’a plus rien à voir avec celui de la Revue. Jim Jones met le paquet sur les ambiances et va sur des choses beaucoup plus sombres, mais diablement captivantes. S’il ne tombe pas dans le piège de la formule Nick Cave, c’est parce qu’il s’appelle Jim Jones et que ses racines stoogiennes remontent à la surface, notamment dans ce fabuleux «Alpha Shit» de fin de set qui n’est même pas sur le nouvel album. Jim Jones semble enfin être redevenu Jim Jones, c’est-à-dire un rocker londonien dont on attend des miracles, et dont la crédibilité repose sur sa réputation de cult-rocker londonien underground.

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    Si on veut vraiment pouvoir apprécier cet album qui s’intitule Super Natural, il est souhaitable d’aller voir le groupe sur scène auparavant. Jim Jones reste avant toute chose un fantastique performer, l’une de ces bêtes de scène qui maîtrisent l’art de chauffer une salle. C’est un régal que de le voir haranguer le public et mettre le feu aux poudres en claquant le beignet de ses accords. Dans les moments d’intensité maximaliste, le groupe entre dans une dynamique qui rappelle celle du MC5 : ils sont trois à circuler et à sauter, ils vont très vite, ils avancent et reculent à tour de rôle et créent les conditions d’un parfait chaos sonique. Jim Jones a cette manie de faire des petits bonds et de retomber sur ses deux pieds, comme s’il voulait encore enfoncer des clous. La scène tremble, car il saute avec force. Avec le temps, il n’a rien perdu de son énergie, il semble même affiner son profil de soul shaker. Il est tellement parfait qu’il semble en voie de starisation, mais qu’on se rassure, nous ne sommes pas encore à Bercy et le Petit Bain n’a pas fait le plein, loin de là. Au fond, Jim Jones n’intéresse pas grand monde.

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    Comme ce mec adore son public, il vient toujours papoter après le concert. Il sait qu’il est bon, mais il apprécie vraiment qu’on le lui redise. Son mot d’ordre est «Spread it, spread it !». Alors on spread. Jim Jones par ci, Jim Jones par là. Mais on le sait, les Français préfèrent la politique. Par contre, les gens de Vive le Rock préfèrent Jim Jones : fait rarissime dans la presse anglaise, Jim Jones décroche un 10 sur 10 pour son nouvel album.

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    Rich Deakin multiplie les formules ronflantes qu’on adore, du genre «hi-octane brand of rock action», ou encore «high-energy punk rock blues outfit» pour évoquer le passé, et «mind-melting brain blasters» pour évoquer le présent. Oui, car quelques épisodes de ce nouvel album plongent des racines tentaculaires dans la légende des Hypnotics. Rich Deakin va même jusqu’à écrire que certains cuts pulvérisent l’auditeur, mais bon, il exagère un peu. Disons que le «Dream» d’ouverture du bal secoue bien la paillasse, car le pianiste Matt Milleship joue le riff de fuzz assis derrière son meuble et un beau geyser d’énergie jaillit sous nos yeux globuleux - Real pain takes/ The color out of everything - Voilà une pure merveille atmosphérique, Jim Jones chante comme un damné perdu dans les corridors glacés de sa folie. Sur scène, «Dream» se trouve en milieu de set, ce qui semble logique vu s’il s’agit d’un cut réellement intense. Il vaut mieux qu’il soit pris en tenaille entre des choses plus dociles.

     

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    Lorsqu’un album démarre ainsi, il y a deux façons de réagir : soit on s’éponge le front en se disait qu’on va encore en baver, comme avec tous les très gros albums, soit on se frotte les mains, car les très bons disques commencent à se raréfier. On tombe un peu plus loin sur un «Something’s Gonna Get It Hands» joué au Diddley beat et plongé dans l’épaisseur cauchemardesque d’une danse du scalp. Jim Jones y joue la pire des insistances avec I know I know et le cut bascule dans une ambiance délétère de type twilight zone. On n’avait pas revu une telle absence de mansuétude depuis les early Saints. Le climat continue de se détériorer avec un «No Fool» chargé de son comme une mule, et qui sonnerait presque comme un Chant des Partisans macabre, ou si vous préférez, le battement des tambours qui accompagne une montée du condamné à l’échafaud, sur une place du beffroi noire de monde. C’est d’une noirceur qui pourrait perturber. De là à penser que c’est fait exprès, c’est un pas qu’on franchit sans même réfléchir. Jim Jones cultive une sorte de gothique baroque et entre en osmose avec la pochette de l’album, qui est excessivement troublante : on a là un gros mélange de collages retravaillés, du Clovis Trouille sans humour, de l’hermétisme de pacotille à tendance sataniste et sournoisement érotique. Assise au premier plan, une courtisane nue capte bien le regard. Elle sort d’un jeu de tarot la carte de la mort et derrière elle, une sorte de Raymond Roussel au yeux bandés tient dans le creux de sa paume le feu sacré du vif-argent. C’est une œuvre qu’on examine avec le plus grand soin, car elle pullule de détails onirico-démonologiques dignes d’un Max Ernst, mais pas celui du mouvement surréaliste, non, disons plutôt un Max Ernst qui serait possédé par le diable. En réalité, l’auteur s’appelle Jean-Luc Navette, ce qui a le don de calmer les esprits.
    Puisqu’on vient d’effleurer l’incantatoire, profitons-en pour écouter le «Boil Yer Blood» qui ouvre le bal des vampires de la B. Voilà un cut sombre dont les chœurs mâles résonnent sous les voûtes de pierre d’une salle de garde, alors que sous les fenêtres fument encore les corps des hérétiques brûlés vifs. Jim Jones passe à la riche complainte exacerbée avec «Heavy Lounge #1» - Kiss me my darling/ Oh yeah you take the pain - Jim Jones n’est plus que dark pain, yeux crevés et soleil transpercé. Rich Deakin trouve que le cut dégage un vieux relent Led-Zeepy d’«Immigant Song». Par contre, le hit de l’album pourrait bien être «Til It’s All Gone», chanté à l’épique grandiose et soutenu une fois de plus par une rumeur de chœurs mâles d’essence tribale. Jim Jones s’y arrache bien la glotte - Just gotta live it/ Live it/ Til it’s all done - un cut qu’ils jouent dans le début du set et qui sur scène passe comme un lettre à la poste. Il faut dire que Jim Jones est extrêmement bien entouré. Avec sa pedal steel guitar, Malcolm Troon enrichit considérablement les ambiances. Il joue une bonne moitié des cuts assis derrière son crin-crin, mais quand il se lève pour passer la bandoulière de sa Grestsh rouge, c’est uniquement pour en découdre et jouer au twin guitar attack avec Jim Jones. Leur numéro est tout simplement spectaculaire. Ils cultivent tous les deux un goût prononcé pour la furie. Il faut aussi saluer bien bas le bassman Gavin Jay, seul rescapé de la Revue. Il joue sur une belle Ricken et adore participer aux séances de folie collective. De la même manière que Jim Jones, il adore danser la Saint-Guy des catacombes.
    En guise de conclusion, Rich Deakin prévient qu’on aura du mal à trouver quelque chose d’aussi parfait d’ici la fin de l’année - You’ll be hard pushed to find anything as perfect anywhere else all year - Il exagère peut-être encore un tout petit peu.

    Signé : Cazengler, the Devious Mind

    Jim Jones & the Righteous Mind. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 10 mai 2017
    Jim Jones. Super Natural. Masonic Records 2017
    Vive le Rock # 44. Chronique de l’album par Rich Deakin

    13 / 05 / 2017 - HERMé
    DIXIEME ANNIVERSAIRE
    SIGVALD'S MC SEINE ET MARNE

    THE INFERNAL / THAT'5 ALL

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    La teuf-teuf n'en mène pas large, sur la route d'Hermé elle voit le doute s'immiscer en elle, gros J7 couché sur le flanc en travers de la chaussée, et voiture à soixante mètre en plein champ au milieu d'une pluie de bouts de ferraille, retournée sur le toit, camion de pompier et voiture de police qui règle la circulation... Brrr ! Mais il en faut davantage pour faire peur à un rocker, c'est qu'aujourd'hui le Sigwald's Motor Club fête son anniversaire, le genre d'amicales festivités qu'il serait malséant d'oublier.

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    Une centaine de motocyclettes garées devant le local, une grande cour encombrée de stands et de tables, baraque à paella et camion pizza, les moto-club de l'Aube et de la Seine-et-Marne se sont donnés rendez-vous, 1% + 1%+ 1%+... ça commence à faire du monde... Beaucoup de figures connues, les Loners de Lagny-sur-Marne, délégation du 3 B de Troyes, mais aussi les Farfadets, les Templiers, Ghost's Road, Boyans Choppers, Metal Crew, les Wanahawks, les Hammers, tous chevaliers de l'asphalte...

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    THE INFERNAL

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    Trio rock'n'roll. Se sont formés dans leur jeunesse. Ne se sont plus revus durant quinze ans. Et puis lors d'une rencontre festive se sont retrouvés à interpréter Johnny Be Goode pour faire plaisir à l'assistance. N'auraient pas dû. La tarentule du rock'n'roll les a mordus une deuxième fois, se sont reformés just for fun. Et les voici sur scène dans la grande salle du local des Sigvald's. Beaucoup sont restés au soleil dehors à écluser des litres de bière, mais les passionnés de rock sont là, notamment Karine, la bassiste d'Hellefty qui ne participera pas à la fête ce soir. Dommage !

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    Ne se prennent pas la tête, ne touchent pas aux compos originales des temps perdus, prennent leur pied dans le répertoire des reprises de Foxy Lady, la renarde mordorée d'Hendrix, à l'autoroute goudronnée des mauvaises intentions de l'Enfer d'AC / DC. Tout de suite le son est là. Le gros, le méchant, le speedé, l'électrique à mort, le diable vous prend par la main et vous emmène cueillir les mandragores exaltées sur le sentier de la perdition. Leader maximo Gibson guitar et basse Fender, ça claque dur et ça cloque énorme comme de la lave de volcan en fusion, un régal de roi, que dis-je le dîner des quatre empereurs à Rome, les festins de Lucullus et les orgies de Sardanapale, le batteur réalise la synesthésie du son et de la couleur, fûts de cet ocre marron-orange du pelage du tigre rehaussé de petites touches de noir-panthère, une frappe qui donc allie grâce féline et jungle férocité, pas le temps de s'ennuyer avec Infernal, basse grave et voix légèrement haut-perchée, les riffs défilent et enfilent vos oreilles comme des frelons géants qui tournent sans fin dans votre cerveau. Vous ne pouvez pas savoir comment ça fait du bien d'avoir les neurones ensanglantées, z'avez l'impression qu'un pic-vert vous picore les méninges et vous gobe en un tour de bec les obsédantes grappes d'idées noires et bleues.

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    En plus, s'excusent presque de jouer pour leur plaisir – qui devient instantanément le nôtre - lorsqu'ils présentent les morceaux, vous transportent en un fragment temporel d'innocence et de pureté rock'n'roll comme les habitués des concerts en rencontrent peu. Infernal et paradisiaque.


    THAT'5 ALL
    ( 1 )


    Cinq sur scène. Nous préviennent d'entrée. Ne font que des covers. Mais tirent la couverture à eux. Font leur mix, ne proviennent pas du même lieu. Mais au lieu de se prendre la tête, mélangent toutes leur provenances dans la tambouille, rock'n'roll, hardcore, glam, métal, djent, mais attention feu violent sous la cocote minute. Surtout ne jamais l'ouvrir, attendre simplement qu'elle explose. Le problème c'est qu'elle explose très vite. Mais ce n'est jamais trop tôt parce les That'5 All détestent attendre.

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    Une mécanique huilée. Une stratégie mûrement réfléchie. Formation de base, un derrière, un devant, trois au milieu. Donc au fond Helder à la batterie. N'en concluez pas qu'il joue de la batterie. Non pas du tout, il joue à la batterie. Saisissez la nuance prépositive. Pas le genre d'hurluberlu primitif qui tape sur ses peaux comme le premier venu, ses baguettes n'ont pas encore effleuré la moindre caisse, qu'il se charge d'énergie, il l'aspire, elle descend dans son corps, et d'un seul coup il la projette hors de lui, la propulse, la crache sur ses toms et c'est le retour de l'hurricane qui balaie les sequoias devant lui comme des fétus de paille.
    Heureusement. Parce que devant, il y a Olivier. Tout seul avec son micro. On devrait le lui supprimer. N'en a pas besoin. Le concassage drumique, l'a intérêt à ne pas faiblir un milliardième de seconde sans quoi on ne l'entendrait plus, c'est que l'Olivier il vous le surmonte avec une telle aisance que cela en devient indécent. Pensez à des radiations sonores qui s'enfuiraient de l'explosion de Tchernobyl, rien ne les arrêterait, eh bien maître Olivier il vous balance son vocal comme la bombe atomique sur Hiroshima. Avec une désinvolture révoltante. En plus il se permet de pogoter, de gigoter, de marcher dans tous les sens, de descendre dans le public, de lui tourner le dos, bref de n'en faire qu'à sa tête. Peut être essoufflé entre deux morceaux mais il vous ressort illico sa voix aussi épaisse qu'un porte-avions.


    J'entends votre questionnement. Mais que font les trois autres, sagement alignés avec leur guitare comme des boîtes petits pois sur leur étagère ? Je reconnais qu'à première vue ils ont l'air de tirer au flanc, genre puisque les deux madurles de devant et de derrière se chargent du boulot, surtout ne les contrarions pas. Bandes d'ignorants ! Analpha très bêtes du rock'n'roll, ouvrez vos yeux et vos oreilles. Oui ils donnent l'impression de paisibles bergers mollement couchés dans l'herbe sicilienne d'un poème de Théocrite, mais non, reportez-vous à la fin de la République de Platon lorsqu'il entame la description des trois plus terribles divinités que la terre ait jamais engendrées, les Moires sans pitié qui tissent le fil de votre existence humaine.
    Sont ainsi. Mais eux ils tressent le barbelé de quelque chose de bien plus importante que votre misérable biographie, c'est le filin du rock'n'roll qu'ils tissent. A droite voici Anthony, extrait de sa basse de longs filaments sans fin qui n'en finissent pas de se dérouler, des notes graves et profondes qu'il repasse à ses voisins, sans leur jeter un seul regard, derrière ses lunettes à la Buddy Holly, ses yeux se perdent en un long rêve d'attente frissonnante... Au centre, de sa guitare rythmique Christophe inflige scansions et étirements divers à cette longue longe qui s'entremêle entre ses cordes, c'est lui qui donne la vie, la couleur et les saccades nécessaires à l'épanouissement vif-argent des modulations outrancières, mais voici Silvio, souvent ses doigts restent immobiles, il guette le moment décisif où il devra trancher le riff, définitivement d'un coup sec, le renvoyer au néant tombal, se contente d'un frôlement, laisse perler une ou deux notes assassines, et se remet aux aguets, ou alors il se lance dans un solo dévastateur, des coups de hache qu'il assène violemment comme si le serpent musical ne voulait pas mourir et qu'il fallait l'achever de brusques tapes acérées, tranchantes comme un couperet de guillotine, prend soin tout de même que ce ne soit pas trop rapide, que l'on puisse entendre ses crissements de souffrance.

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    Dix titres. Avec l'excuse du morceau lent – ce sera So Far Away d' Avenged Sevenfold – avec la gradation attendue qui se termine par un ramdam de tous les diables car That'5 All ne sait pas rester calme, d'ailleurs après un Sex on Fire ( King of Leon ), un Nightrain ( Guns and Roses ) et the Trooper ( Iron Maiden ) ils promettent de revenir dans un quart d'heure avec un set un peu plus enlevé. On ne s'était pas aperçu que celui-ci avait été particulièrement tempéré.

    INTERMEDE ( A )


    Diable que se passe-t-il ? La salle se remplit de plus en plus. Etrange que des cohortes de bikers restés à discuter dans la cour s'en viennent squatter les premiers rangs alors que le set vient de se terminer. Ne voilà-t-il pas qu'ils entreprennent de vider la scène de tous ses micros et que les éléments de la batterie sont démontés et poussés au-dehors. Un virus anti-rock'n'roll aurait-il sévi ? D'autant plus que sur l'estrade l'on se hâte de disposer une chaise et d'y asseoir un jeune impétrant qui attend placidement la suite de l'aventure.
    Mais la voici. Les ligues féministes peuvent se dispenser de la lecture des paragraphes suivants. Ce n'est un secret pour personne la culture biker touche quelque peu au domaine de l'affirmation virile. En voici donc une de ses représentations des plus phantasmatiques. Si vous êtes d'âme délicate qui n'aimez point que l'on vous souligne d'un gros trait rouge les éléments essentiels de la vie rabattez-vous sur la lecture de La Motocyclette d'André Piyere de Mandiargues, mais si vous tenez à assister au rituel sachez que la réalité est parfois aussi évanescente que les tendresses les plus platoniques.
    Toute belle, toute en chair. Nue dans votre tête mais gainée de cuir en ce monde de regrets, Miss pin up s'avance vers vous. Non, elle n'est pas pour vous, la femme araignée se contentera de la victime offerte sur sa chaise. Provocation et frustration sont les deux mamelles de son art. Les siennes propres sont deux merveilleuses rondeurs, deux globes majestueux dignes des coupoles de Sainte-Sophie et du Panthéon romain. Les dévoilera d'abord au seul jeune homme comme un secret échangé entre eux deux, puis à nous tous, mais ce sera les deux uniques fragments de beauté qui seront révélés, pas pour très longtemps, s'enveloppera vite d'un drapeau italien avant de sortir de scène. Mais ce n'est pas tout, avant nous aurons eu droit à toute la mimétique de l'acte amoureux, les poses lascives et les ondulations suggestives, un croupion que l'on agite indécemment sous votre nez, mais tout est faux, tout est toc, se vautre sur le jeune homme, l'entoure du coussin d'air de la ventouse de sa chair, esquisse les gestes de la fellation, imite le soixante neuf, et puis se retire, nous prive de sa simulation... Ni érotique. Ni pornographique. L'art figuratif des esquisses perdues. Le viol du cygne qui n'a pas eu lieu. Inutile de tirer la langue elle n'atteindra jamais son sexe. Perfide et cruelle ambiguïté de ce qui se donne à voir sans s'offrir.

     

    INTERMEDE ( B )


    Retrouvons nos esprits. That'5 All s'attelle à la tâche de nous faire recoller au rock'n'roll. Rien de tel qu'un électro-choc pour vous remettre les idées en place. Mais ils n'iront pas plus loin que le quatrième morceau. Ordre leur est communiqué de d'arrêter les frais. Les Sigvald's nous ont offert un premier cadeau, rien de tel qu'une légère collation pour reprendre des forces après de telles émotions, et nous assistons au découpage de deux énormes gâteaux – anniversaire oblige - emplis de crème, de pâte d'amande et de pistache, la queue s'allonge ( inutile de voir en cette simple notule descriptive une allusion à l'intermède précédent ) assiette plastique en main chacun attend sa portion succulente. Certains tricheurs repasseront plusieurs fois. Je ne donnerai pas la liste de peur d'y apercevoir mon propre nom.

     

    THAT'5 ALL ( 2 )

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    Reprenons notre récit à l'endroit exact où nous avons été par deux fois si tragiquement interrompus. Z'avaient ouvert le deuxième set avec Season in the Abyss de Slayer mais nous irons tout droit après l'interruption pâtissière à leur interprétation de Nothing Else Matters. Font merveille sur la structure métallique. Cet empilement prodigieux d'excroissances sonores qui ne s'achèvent que par la naissance d'une nouvelle architecture leur sied à merveille. Un feu qui ne s'éteint jamais, même si l'on voit chaque flamme grandir, se déployer comme un incendie géant et puis rétrécir et agoniser de sa belle mort qui s'en vient se perdre dans l'advenue d'une autre vague aussi violente que la précédente. That'5 All a compris la quintessence de Metallica qui refuse d'exposer chronologiquement la montée en puissance d'un riff et puis son anéantissement, le band écoule deux phases de deux cycles en même temps, l'une s'en vient mourir dans le moment même ou une nouvelle l'entraîne dans son déferlement, cette dualité qui propose et mort et naissance de deux riffs concomitants évite les dangers successifs du pompiérisme métallifère, un effet chasse l'autre mais ne le tue pas, l'emmène avec lui, en la course du morceau jamais de fin intermédiaire, jamais de véritable reprise, mais torride accumulation d'énergie, Helder parcourt ses toms en trombes, Sylvio se déchaîne – plus le temps de laisser Christophe se dépatouiller tout seul, tous deux tricotent de concert l'énorme vague qui nous submerge, Olivier est en verve, chante et commente, instaure le dialogue avec le public qui se réduit pour le troisième set qui n'en sera que plus fort car davantage porté par des passionnés. Un Sweet Child o' Mine aux fusils pétaradants saupoudrés d'épines de roses empoisonnées, un Antisocial démentiel et un killer medley de Metallica stratosphérique. N'en jetons plus. Mais comme nous en redemandons un chouïa de plus ils nous horrifient d'un reggae.... qui tourne vite à la purée hardique à l'emporte-pièce.
    C'est tout.
    Mais amplement suffisant.

    Ne reste plus qu'à remercier les Sigvald's pour l'organisation, l'ambiance et la chaleureuse simplicité de l'accueil. Un anniversaire dont on se souviendra.

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    Damie Chad.

    ( Photos d'Enagrom sur FB : Sigvald's MC Seine et Marne )

     

    15 – 05 – 2017 / LA MAROQUINERIE
    VERTE EST LA NUIT
    LOIRE VALLEY CALYPSOS
    HOWLIN' JAWS / BIG BOSS MAN
    LES GRYS - GRYS

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    De bon matin je surfe sur internet, lorsque je reçois un message personnel de Dieu – ça m'arrive, pas tous les jours, quelquefois seulement – ventrebleu saint Grys Grys moi qui encore la veille me désespérais de n'avoir aucune nouvelle des Grys Grys, voici leur nom sur le coin du flyer, en plein Paris, et en plus les Howlin Jaws, décidément je suis gâté, et encore mieux, c'est gratuit si vous vous inscrivez, sur ce coup-là il faudra brûler une chandelle romaine de remerciement à Nique Ta Mére, pardon je voulais dire la Sainte Vierge, bref lundi soir, direction la Maroquinerie.

    CHARTREUSE SANS PARME, CHARTREUSE SANS CHARME


    L'entrée vous donne droit gratis à une chartreuse – infâme ramassis de plantes médicinales rehaussé de pulpe de citron - plus un orchestre d'ambiance pour aspirer en toute quiétude votre poison-maison.

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    Le groupe s'installe sur la scène à côté du bar, une petite foule quitte la cour ensoleillée pour les écouter. Banjo, contrebasse, percussion, guitare et chant. Dommage la sono nous offrait Bo Diddley et Muddy Waters, la relève risque d'être difficile... Se débrouillent bien en leur style, un peu plus rugueux que Julien Clerc et plus sérieux que Dario Moreno. C'est sympa, le public apprécie, mais moi le caca-lypso à haute dose je n'ai rien contre mais à partir du moment où l'on réduit à un demi-cachet tous les deux ans. Mais là, je m'en enquille quinze d'un sel coup. En plus ils promettent de revenir entre les groupes, mais comment se fait-il qu'il existe tant de cruauté en ce bas monde ? Non je ne suis pas sectaire, la preuve, je n'aime que le rock'n'roll. Ce n'est tout de même pas de ma faute si sciemment je participe à l'injustice de ce monde. En tout cas, je sais au moins que pour mes prochaines vacances j'éviterai la vallée de la Loire.
    Direction les enfers. Suffit de descendre les escaliers pour pénétrer le cube bétonné de la salle de concert, look spartiate de mini arène de ciment, je m'aperçois que toute une flopée de jeunes gens préfèrent les tempêtes de sable du désert aux oasis ensoleillées.

    HOWLIN'JAWS


    Les Howlin' sont là. Bons doctors Feelgood qui nous administrent un rock'n'roll shoot comme on n'en fait plus. Sont beaux comme des anges tant qu'ils restent immobiles, trois secondes et demie. Avant de déclencher l'apocalypse. Les Jaws plus anglais que jamais, bye-bye le rockab des familles, ne gardent de cette vieille poudre si facilement inflammable que l'habitude des solos qui ne durent pas plus de quinze secondes, autant dire que leur set est un entremêlement incessant de mini soli qui sans merci se font et se défont la nique et la niaque, à vouloir toujours prendre la place de tête, une mécanique de hautes précisions, il ne s'agit pas de garder la pôle position du début à la fin, mais au contraire de laisser passer en tête de course l'un des deux autres co-pilotes en lui offrant l'ouverture salvatrice par un magnifique dérapage contrôlé qui vous permet de brouter l'herbe des bas-côtés et d'entendre les pneus crisser sur les gravillons.
    Contrebasse en travelingue et vocal à la déglingue Djivan Abkarian, batterie aux aguets et frappe instinctive Baptiste Léon, guitare en feu et visage enfiévré Lucas Humbert, trois chats enfermés depuis huit jour dans une carton exigus, sautent en l'air comme des diables et se mettent en chasse de la souris rock'n'roll, l'on sent que la bestiole va passer un mauvais quart d'heure, l'a beau courir de toutes ses pattes dans tous les coins à la vitesse d'un guépard, l'est sûr qu'ils ne vont pas tarder à la rattraper et à vous la déchirer en confettis de chair sanglante.

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    Le combo avance par giclées spermatozoïdales. Des bouffées de sperme de cachalot qui vous brouillent les neurones. Sont tous les trois partout à la fois. Indispensables. Des matelots qui courent dans la cale pour boucher les quatre-vingts voies d'eau mortelles qui condamnent le navire à couler lamentablement. Mais non, réussissent sans faille à colmater cent failles. Une musique de l'urgence. Rien n'est gagné d'avance. Ne pas perdre une miette. Guitare à l'emporte-pièce, batterie bouchon de champagne, contrebasse kahotique, vitesse d'exécution maximale, pas de répit pour Baptiste, un break à servir brûlant quand l'autre n'est pas encore fini, une ponctuation de guitare qui déboule comme par surprise et Djivan au chant qui presse le débit nitroglycérinique.
    Célia Formica bondit au milieu de notre torchère, vêtue de gaze verte comme la nuit ou la jument de Marcel Aymé, qui retombe très haut sur ses jambes à la Marie Quant, pompons de mousse à l'endroit des poupous, chevelure d'un fauve qui tire sur le mauve, se démène des quatre jambes, l'est bien belle et mignonnettes, réussit le prodige de s'agiter sans vous ennuyer – elle reviendra par intermittence dans tous les autres sets – mais j'ai beau mettre des moufles pour ne pas passer pour un mufle, franchement très vite on l'oublie, les Jaws sont trop beaux, trop péremptoires, trop pétris d'attitudes définitives pour perdre du temps à la regarder. Semble superfétatoire, la cerise sur le clafoutis qui en regorge, Lucas ses cheveux blonds, ses mimiques de terreur chaque fois qu'il tronçonne une cascade de trois riffs explosifs – ce qui lui arrive toutes les cinq secondes – son ballet endiablé, ne fait plus qu'un avec sa guitare, à croire qu'il s'est planté le jack dans un cathéter censé drainer une maligne tumeur de son cerveau ravagé par un électrochoc continu, le corps agité des mêmes soubresauts instinctifs des condamnés à la chaise électrique, vous fait des sauts de requins hors de son aquarium dans le but avoué de croquer une dizaine de spectateurs ahuris, dans la salle c'est l'exultation à chacun de ces décochements, de ces décrochements de flèches phoniques dont il transperce le coeur de l'auditoire, Baptiste un mélange d'efficacité et de flegme éhonté, les compos sont si serrées qu'au moindre retard, c'est le vide assuré, le blanc, le trou noir, le silence dans la bande-son, la pellicule qui se coupe au moment où l'assassin lève son couteau pour égorger la jeune vierge innocente, mais non, l'est comme ses joueurs d'échecs qui ont trente-trois coups d'avance sur leurs adversaires, le deux ex-machina qui dénoue l'imbroglio, qui rétablit par miracle la situation, Djivan ne se prélasse pas sur le divan des commodités, alimente sa big-mama comme s'il jetait des briquettes dans le foyer d'une locomotive à vapeur qui assurerait la liaison New-York Los Angeles, sans arrêt, tender inépuisable et tension en courant continu. Le rock est sur le rail, Baptiste se charge des aiguillages et Lucas des déraillements et des attaques des peaux-rouges lors de la traversée des territoires sacrés du rock'n'roll.
    Ne regardez pas dans la salle. Cyclone force 10. Lorsque les Howlin' s'arrêtent, ils n'ont pas remporté la victoire. Une de plus. Ils ont simplement convaincu le public que le rock'n'roll n'était pas mort.

    BIG BOSS MAN

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    Big Boss Man. Inconnu au bataillon. J'en avais déduit à partir du seul nom reedien que c'était un groupe de blues. Des doutes quand ils ont trimballé sur le devant de la scène un pachyderme aussi encombrant qu'un bahut Louis XIII, un vrai, un vénérable orgue Hammond, un vétéran des sixties, donc tout faux. Un colosse herculéen noir – répond à la trop courte appellation de Des qui ne préfigure en rien sa gigantesque stature – arrive à se caser entre le mur et sa batterie qui du coup ressemble à un jouet de gamin. N'a pas saisi une baguette que déjà l'on a compris que la frappe sera lourde, onctueuse et grasse à souhait – aux petits oignions verts. Bongolian Nass, drapé dans sa veste d'officier s'assied derrière le clavier. Wah Wah Trev accroche sa guitare et The Haw Scott se saisit de sa basse. C'est parti pour une heure de soul.
    Buste droit, rejeté en arrière, en des des raidissements qui sont comme autant de clins d'oeil à Ray Charles martyrise son appareil, puissamment, n'effleure pas une touche, en écrase sept ou huit avec la vigueur d'une patte d'éléphant qui s'appesantit sur le dôme d'une fourmilière cannibale, vous beurre la tartine en y empilant trois tablettes dessus, sans même retirer l'emballage, mais ce n'est pas assez, lui reste un trop plein d'énergie, alors il se lève et s'en va taper sur de pauvres percussions qui ne lui ont rien fait mais qui doivent penser que leur dernière heure est en train de sonner. Le genre de close-combat qui enchante Des, l'en remet sept ou huit couches sur sa caisse claire plus une vingtaine de dégelées sur le reste de la quincaillerie, en plus parfois ils s'énervent tous les deux et jouent à qui azimutera le premier le Titanic du groove. Z'a côté, les guitareux ne mouftent pas, l'on aurait tendance à les oublier, mais ce ne sont pas des manchots du bulbe rachidien, comparés aux Big Man ils bossent par en-dessous, mais double bosse comme le chameau, vous envoient le coussin d'air qui permet à l'air-craft de voler sur les eaux. Sont des malins, sur le dernier morceau ils saupoudreront d'un peu de funk mais rien de ce répétitif ennuyeux qui monotonise trop de formations ces temps-ci. Juste la gousse d'ail qui embaume le gigot ou celle de vanille qui apporte une haleine sucrée aux gumbos les plus saturés d'épices. Seule, la soul vous saoule.

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    Ça ne les empêche pas de rajouter en douce un peu de rock, leur Big Boss Man ressemble à s'y méprendre à une version organisée de Louie Louie, quant à leur Party 7 – si j'ai bon souvenir – regarde d'un peu trop près le Land of Thousand Dances version Pickett des hannetons. En tout cas dans la salle, c'est la joie, ça ondule gentiment et les applaudissement crépitent comme des mitraillettes. Enthousiasme général.
    J'apprécie, rien à reprocher, leur Everybody Boogaloo est aussi entraînant qu'une ronde de zombies et de mongoliens atteints de délirium tremens, mais de la musique de danse, avant tout entertainment. L'on se croirait dans un club dans un quartier noir aux USA en 1967, mais il manque l'atmosphère de révolte fervique qui accompagnait le rising sun des Black Panthers... Font un tabac. L'on se presse autour du stand de disques. Sont sympas, vous refilent un Ep en plus... Une partie du public se retire après leur passage. Etait venu pour eux. Un peu de rock'n'roll en hors d'oeuvre, l'on veut bien supporter, mais pour le plat de consistance qui suit, l'on préfère décrocher. Sage précaution car le temps des Grys Grys approche.

    LES GRYS - GRYS


    J'espère que vous avez activé l'interdiction parentale sur votre ordinateur, que cette chronique ne tombe jamais sous les yeux de vos enfants, sans quoi leur avenir est perdu. Définitivement. En quelques minutes, vous ne les reconnaîtrez plus, traîneront tard dans la nuit en des bars louches, des bouges insalubres, s'adonneront à des activités musicales et extra-musicales – les plus dangereuses – dont je préfère ne pas vos égrener la liste afin que vos cheveux ne blanchissent en une seule nuit. Car les Grys - Grys sont sur scène et vous n'y pouvez plus rien.

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    Dès le début, un truc vous turlupine, quel est le rôle exact du cinquième homme, exilé sur notre gauche, ses camarades lui ont laissé un micro, c'est tout. L'arbore le profil du gosse malheureux auquel ses parents n'achètent pas de jouets, s'amuse avec ce qu'il ramasse par ci par là, l'est à terre, en train de rafistoler des maracas plus ou moins démantibulées, votre coeur se serre, vous le plaignez secrètement. Attendez pour voir. Esteban est au centre, imposant derrière sa batterie, une gueule patibulaire de gardien de cimetière, quand il cloue un cercueil le macchabée a intérêt à se tenir coi, sans quoi se prend un coup direct sur la gueule, le genre de souveraine médicamentation qui vous calme. Ressemble un peu à Bonham ce qui pour un batteur est assez prometteur. Bassiste blond et cheveux bouclésBelle dégaine.

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    La même chevelure pour le guitariste, mais nuance corbeau. L'a la Rickenbacker qui frétille. Vous laisse échapper de ces pétarades d'impatience à provoquer des avalanches. Un teigneux, un insatiable, vous lui montrez un riff et il défonce les portes du toril, l'est comme le taureau qui a envie d'encorner quatre ou cinq toreros en apéritif. Un look un peu dégingandé à la Cyril Jordan, la gratte en embuscade, notre maître-chanteur squatte le micro tel un indolent vautour qui surveille une charogne.

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    N'ont pas encore commencé que l'on sent que la situation devient grave. Sombre pressentiment. Pire que ce que l'on imagine. Même moi je serai surpris. De ma faute. Je m'extasie bêtement aux premières notes de Milko Poor Boy vieille huile de vidange de garage faisandé, je m'esbaudis joyeusement sur I'm Ready, je grimpe sur mon petit nuage estampillé pure rock'n'roll, cent pour cent R'n'B, je suis ailleurs, je plane dans le fracas des dieux, les Grys - Grys dégainent le tonnerre de Zeus, je suis tout ouïe, je vole dans la tempête, je chevauche les éclairs qui tuent, je suis heureux. Ne l'ai pas vu venir. C'est de ma faute, je le répète. Le plus pitoyable des stratèges ne manque pas de se méfier. Faut surveiller ses arrières et moi je ne zieute que le combo. Un choc violent, mes genoux qui heurtent le devant de la scène, je me retourne, totalement ahuri. N'y a pas que sur moi que les Grys - Grys provoquent un effet mammouth, mais alors que je suis emporté jusqu'au septième ciel, le reste du public est atteint d'une folie aigüe, crise de nerf généralisée, tout le monde s'agite dans tous les sens, ça crue, ça hurle, ça tonitrue, ça se remue, ça se transmue en tohu-bohu, une houle de foule humaine force douze, vous ne savez plus s'il vaut mieux regarder la salle ou la scène, de toutes les manières des deux côtés c'est la même féérie. Un grand escogriffe bondit sur la scène et se rejette dans la fosse en un magnifique salto arrière, l'est rattrapé par miracle, promené à bout de bras puis jeté au sol sans ménagement. J'ai le temps de reconnaître Djivan. L'a suscité des vocations, la scène devient un lieu d'auto-catapultage, on se croirait sur un porte-avions en plein milieu de la bataille de Midway, vol libre et atterrissage catastrophe, sur scène ce s'est guère mieux. Les Grys - Grys sont des pousse-au-crime vous déverse du kérosène sur l'incendie, Hot Wind, You Mistreat Me, Got Love, aucune envie de modérer la situation, en ce moment ne sont plus sur scène, les deux guitaristes traîne dans la salle, et l'autre le gamin, je le cherche sans le voir, trompe bien son monde, l'est juché sur les baffles, agite ses maracas rouges comme s'il venait de castrer un étalon, saute, revient vers le micro, se plante un harmonica dans la bouche comme s'il fumait un Davidoff Oro Blanco, souffle hors des trous tout en passant le manche de sa percu le long du clavier tout fier comme s'il était en train d'inventer la manière de jouer de l'harmo en slide, plus tard sera allongé et tapera frénétiquement sur le plancher un tambourin qui ne sait plus ce qui lui arrive.

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    Nous non plus. La salle est devenue un ring de massage corporel généralisé, des masses humaines s'abattent sur vous venues d'ailleurs, vous télescopent avant de reprendre leur orbite désordonnée comme des comètes folles, un lit de mains tendues appellent le guitariste, le voici couché sur ces paumes ferventes qui le transportent tandis qu'il continue son solo, à croire qu'il se balance mollement dans un hamac entre deux palmiers, il pleut de la bière et le chanteur en profite pour nous verser des bouteilles d'eau sur la tête. C'est fini. Non, ils reprennent leurs instruments, ils en veulent encore, Q 65, Thor's Hammer, You Said, le bassiste a perdu une corde, et le public la raison. Des tueurs. Des sadiques. Incapables de s'arrêter. Folie pure. Une gig gigantesque, dantesque, rock'n'rollesque.

    DRING ! DRING !


    Le téléphone pleure.
    Allo, ici l'ALCBK, l'Amicale des Lecteurs Catholiques du Blog Kr'tnt !
    Super, le club cahotique, je ne savais pas qu'il existait ! Je vous félicite !
    Non ca-Tho-li–ques ! Nous venons voir si vous avez honoré votre promesse de cierge à Marie, notre Sainte Mère de Dieu.
    Ah, bien non, au dernier moment je me suis ravisé, j'ai préféré douze grandes libations de Tennessee Jack aux douze Olympiens, et pour être sûr de n'avoir oublié personne par acquis de conscience j'en ai rajouté trois en l'honneur d'Alexandre le Grand, de Julien l'Apostat et du divin Néron.
    Damie, songez à votre âme de rocker pénitent, nous craignons que vous ne soyez perdu !
    Que la paix stérile du Seigneur continue à vous emberlificoter mes bonnes soeurs, n'ayez crainte le rock'n'roll m'a déjà pardonné ! »

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : René Simon )

     

    THE WHO
    LE GROUPE MOD
    PHILIPPE MARGOTIN


    ( Editions de la Lagune )

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    Philippe Margotin nous raconte la saga des Who. Je n'ai pas dit la survie des Who, même pas cinq pages pour les vingt années – le bouquin date de 2007 - qui suivirent la mort de Keith Moon. Un livre qui vise à l'essentiel, bien fait, documenté, et qui se révèlera être pour un jeune lecteur qui n'aura pas connu la fabuleuse époque de la british explosion une parfaite introduction à l'un de ses groupes les plus symboliques. Les Who sont un scotch double à double-face. Sont comme ces rouleaux qui par n'importe quel bout que vous tentez de les prendre vous collent aux mains et dont il est impossible de se défaire. Tour à tour, et en même temps, citronnade vitriolée et orangeade sanguine. Ultra-rock et infra-intello. Brutal et intuitif. Des mousquetaires qui ne s'embarrassent guère d'une chaude camaraderie, chacun pour soi quand ils sont sur scène et tous contre les autres quand ils sont en studio. Ces rapports humains peuvent surprendre mais les Beatles de Hambourg et les Rolling Stones de toujours ont connu à des stades diversement avancés de semblables émulsions.

    DU ROCK'N'ROLL AU RHYTHM'N'BLUES

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    Pete Townshend, John Entwistle et Roger Daltrey se rencontrent dans le même collège de Chiswick, nous cataloguerons les deux premiers parmi les grands timides, qui se soigne et fait des efforts pour Townshend, définitivement invétéré et introverti pour Entwistle, le troisième c'est déjà le premier trublion, la boule dans le jeu de quilles – en attendant que ne débarque ce chien fou de Keith Moon – Daltrey c'est le prolo égaré dans la toute petite bourgeoisie. Ses deux camarades n'ont pas grand chose de plus dans le porte-feuille des parents mais des idées par milliers fermentent dans leur caboche. La seule richesse de Daltrey est instinctive. Certains jouent en bourse, mais Daltrey saura toujours placer sa voix au bon endroit, dans les plus fines harmoniques comme dans les plus chaotiques chevauchées. L'est capable de tout, des plus grandes fureurs et des plus suaves douceurs. Un éventail versatile qui se prêtera à tous les vents contraires de ses compagnons. Même aux ouragans tumultueux de Keith.
    C'est que nos quatre matelots ont du souci à se faire. Naviguent en mers inconnues. Ne sont pas les seuls. La jeunesse anglaise se cherche, en trois ans les évolutions vont brûler les étapes. L'apparition des Beatles indique le premier cap. Minimum rock'n'roll. Le rock ou rien d'autre. Parfait pour nos lascars. Viennent de là. Buddy Holly, Eddie Cochran, Gene Vincent, ils connaissent par coeur. Z'ont taquiné le jazz-trad, caressé le skiffle, joué du banjo, gratté des guitares shadowiennes, bref sont arrivés à cette conclusion que pour calmer leurs impatiences adolescentes le bon vieux rock'n'roll était le meilleur antidote à la sinistrose sociale. A part que les Beatles ils apportaient un son différent, plus rapide, plus enthousiasmant, ne faisaient pas de la copie conforme, osaient s'éloigner des maîtres. Un malheur n'arrive jamais seul, voici les Rolling Stones, jouent un blues plus noir que bleu. Ne se perdent pas en plaintives jérémiades, le blues ils l'ont survitaminé à l'aide d'écoutes forcenées de Muddy Waters de Chuck Berry, de Bo Diddley, ce n'est plus du blues, mais du rhythm'n'blues. Ils ont déniché le truc. Plus méchant que les Beatles. Mais il leur manque la formule. Les Who la trouveront, résolvent l'équation en deux mots magiques qu'ils inscriront sur leurs affiches : Maximum Rhythm'n'blues.

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    Faut être honnête le slogan n'est pas d'eux mais de leur command-staff, Kit Lambers et Chris Stamp, car Londres grouille de jeunes loups aux dents aussi longues que des sabres d'abordage, ceux qui ne savent pas tenir une guitare s'inventent des boulots d'hommes de l'ombre, avancent un peu de blé ou s'improvisent imprésarios, directeurs, tourneurs... C'est qu'en deux ans le ciel s'est dégagé, adieu aux rockers, bienvenue dans le monde des mods. Les jeunes gens de ces temps-là sont définitivement modernes, aiment la sape pas flashante mais qui vous différencie, roulent en scooter et écoutent du R'n'B !
    Les Who seront mods ou ne seront pas. Pas d'alternative ! Ils le seront. Daltrey rocker dans l'âme râle, mais en silence, la fièvre des concerts, le succès qui pointe le bout de ses effluves, l'argent facile qui n'a pas d'odeur, sont de solides et trébuchant arguments...

    MUSIQUE

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    Une véritable révolution culturelle agite Londres, l'Angleterre, gagne les rivages européens et met les pieds dans le plat la mythique Amérique, les Who en sont l'un des principaux fers de lance. Pour le moment ils ne se posent pas trop de question. Foncent dans le tas sans retenue. Concerts tous azimuts. Maximum flamboyance. Son énorme, micro tournoyant, guitare stridente, batterie écumante, basse grondante, moulinets de bras, sauts en hauteur, rituel de la guitare fracassée, les Who empochent à chaque fois la mise. D'autant plus que Townshend qui s'agite sur scène comme un diable échappé des souterrains infernaux réussit un coup de génie. Compose un morceau philosophique. Plus question de raconter comment vous prenez la main de votre petite copine, parle au nom de toute sa Generation, mal-être, colère, frustration, rajoutez la violence sonique d'un combo lancé à fond et vous obtenez l'élixir de venin de crotale en moins de trois minutes. Beaucoup plus virulent et moins ennuyeux qu'un bouquin de Kierkegaard...

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    L'EPISODE MEHER BABA

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    De quoi rester baba. Avec ou sans rhum. Meher ne se prenait pas pour la moitié d'un cageot de moules-frites avariées. S'était déclaré lui-même l'avatar de son époque. Même si cela vous semble une pitrerie ne confondez pas avec Achille Zavatta. L'avatar ce n'est ni plus ni même que dieu en personne qui s'en vient faire un petit tour sur notre terre. Grosso modo une fois tous les dix siècles. Pas très fatigant comme boulot. Surtout qu'il ne se donnait même pas la peine de parler. Communiquait avec l'aide de l'alphabet ou par signes. Message brumeux. Abstenez-vous de faire de mauvaises actions qui retarderaient le moment où votre âme rejoindra le grand tout divin. L'a tout de même réalisé un miracle : l'a réussi à regrouper autour de lui des centaines de disciples en Inde, aux Etats-Unis où il voyagea par deux fois, et un peu partout dans le monde... L'était né en 1894 et se rendit célèbre auprès de la jeunesse hippie d'obédience orientalisante en 1967 en la mettant en garde contre les drogues. Non le LSD n'était pas un starway to heaven vers le nirvana ! Comme toujours les prescriptions divines furent mal interprétées, la jeunesse occidentale reconnut la sage sainteté de Baba mais continua allègrement à gober ses pastilles valda multicolores sans défaillir. Faut dire que si son message avait été reçu cinq sur cinq c'est qu'il était dans l'air du temps, l'on connaît les déboires des Beatles partis en colonie de vacances auprès du Maharishi Mahesh Yogi qui se termina abruptement le jour où le saint homme entreprit de pénétrer de force dans le temple vulvaire de Mia Farrow. Cela ne se fait pas certes, toutefois cette tentative effractive reste la preuve indubitable que des années de méditation transcendantale avait permis au saint homme pétri d'une infinie sagesse d'accéder aux portes édéniques de la beauté souveraine.
    A notre connaissance Meher Baba ne devait pas être aussi avancé sur les chemins de la beauté divine puisque l'on ne relate aucune tentative tantrique de ce type dans les deux années qui suivirent et au bout desquelles il regagna - aidés par les séquelles de deux anciens accidents de voiture - ses pénates, en mourant stupidement, comme tout un chacun. Quoique ses biographes ne s'étendent guère sur ce stage d'initiation ( d'union yogique avec le divin ) réservé aux femmes occidentale dans les années trente durant lequel il organisa une tournée en autocar, dénommé le Blue Bus Tour qui nous semble prémonitoire du Magic Bus des Who... Quoi qu'il en soit Pete Townshend n'a jamais remis en question l'influence bénéfique de la vision - qu'il faut bien qualifier d'intermittente – de cette paix de l'âme qui lui aurait été dévoilée lors d'un entretien avec le dernier messie en date...

    EXPLOSION MENTALE

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    L' épisode Baba survenu en 1967 n'est pas dû au hasard. Tout est allé trop vite. En deux ans nos jeunes gens sont devenus des stars. L'argent, les filles, l'alcool, les excitants divers et les émollients variés coulent à flots, la fatigue des concerts, les tournées en Amérique, tout cela vous rétame un individu en cinq sept. Vous êtes happés dans un tourbillon, au début vous prenez votre pied, à la fin cela devient harassant, et pire que tout cette impression de ne plus avoir de temps à vous, de ne plus rien contrôler, de ne plus avoir le loisir de vous poser dans un coin et de faire le point, dans votre tête...
    D'abord autour de vous dans votre musique. Les Who c'est en même temps maximum de sauvagerie – sur scène n'en parlons pas, c'est carrément les hordes d'Attila – et dans le même panier-repas maximum mélodique. Prenez des morceaux comme Picture of Lily, Anyway, Anyhow, Anywhere..., I Can See For Miles, certes ça défile vite, ça pulse fort, mais selon une ligne mélodique qui doit bien vouloir signifier autre chose... Maintenant Townshend se livre à une introspection généralisée, certes ses paroles décrivent bien attitudes et perversions individuelles induites par l'état de la société, mais n'y aurait-il pas là-dessous l'expression d'un drame personnel et encore plus, n'hésitons pas à employer les grands mots, d'une réalité quasi-métaphysique de la condition humaine ?
    Jusqu'à lors les Who n'ont fait que s'amuser comme des gamins excités d'attraper toutes les conneries qui s'offraient à eux, peut-être serait-il temps de passer à quelque chose de plus sérieux. Le rock ne mérite-t-il pas mieux que quelques bijoux pop et toc ? De la pacotille quand il compare ces premières pépites au rêve grandiose de l'oeuvre magistrale dont il rêve.

    OPERA ROCK

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    De toutes ces intenses cogitations sortiront Tommy. N'ai pas osé le retirer de mes cartons pour le réécouter avant d'écrire cette chronique. La peur d'être déçu. De ne pouvoir me remettre dans la peau de mes dix-huit ans lorsque j'ai entendu à la radio les Who l'interpréter en Live en Angleterre, sacré moment. La frousse de n'y trouver qu'une énorme boursoufflure des plus regrettables. En tout cas à l'époque ce fut un choc, les Who s'imposaient comme novateurs. Donnaient ses lettres de noblesse au rock'n'roll, l'inscrivaient parmi les arts majeurs. Et pour qu'il n'y ait point de réclamation au guichet sortait l'année suivante, le Live at Leeds – la version CD vous double le concert – ce n'est pas un enregistrement public parmi tant d'autres mais un magistral coup de cravache sur la croupe du rock'n'roll pur-sang, un déluge métallique qui portait en lui les germinations futures du hard rock.

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    N'empêche que Tommy n'est guère joyeux. Autisme, perversions sexuelles, solitudes, sont ses thématiques principales, un disque noir, à l'opposé du rêve lysergique californien, une errance éperdue dans une continuelle remontée des traumatismes incapacitants de l'enfance, l'affirmation de l'engluement de l'esprit en soi-même, pire que le no future à venir des punks, Tommy c'est le présent impossible.

    THE LAST BUT NOT THE LEAST

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    Townshend sera la première victime de sa créature. Docteur Pete a créé son Frankenstein, ne le tuera point, fera comme l'ours qui ne touche pas aux abeilles mais qui se délecte des rayons du miel. Le monstre lui sucera les neurones de son génie créateur. Au début il parviendra à cacher sa stérilité indécisive. L'a encore de beaux restes. Sur Who's Next il possède quelques ingrédients de choc dans son sac secret, lui qui depuis quelques temps bricole de petites trouvailles musicales sur ses ordinateurs se déchaîne durant l'enregistrement. Fignole le son, fait entendre des masses de pianotements subsidiaires qui apparaissent comme totalement nouveaux et téméraires. Et comme chacun de ses acolytes donne le meilleur de lui-même l'album est considéré comme un chef d'oeuvre.

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    Il aimerait créer un autre Tommy, mais le projet mirifique, Lifehouse, auquel il consacre des mois et des mois de travail, par trop ambitieux, n'aboutira point, toutefois notre creator-man sera sauvé par ses fondamentaux existentiels, Quadrophenia sera le résultat de ce retour vers les années fastueuses de sa jeunesse mod, le double album se présente comme l'épopée électrique d'un jeune mod passant par tous les rituels qui permettent d'accéder au stade - non pas adulte ce qui équivaudrait à un reniement anal régressif – mais de l'affirmation de soi... Ce sera le dernier coup d'éclat des Who...

    THE LEAST


    Me souviens des copains fans des Who qui essayaient de défendre leur groupe favori en jetant des coups d'oeil réprobateurs sur Odds and Sods et By Numbers, certes il y a du bon disaient-ils en hochant la tête, la défense manquait de conviction, pour Who Are You, la conversation abordait d'autres sujets...

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    C'est Keith Moon qui un soir de septembre 1978 mit fin le point final à l'anabase. Encore plus fort et plus idiot que les chiottes qu'il prenait plaisir à dynamiter dans les hôtels. Ne s'est pas réveillé. Ne trouvant pas le sommeil, il avait dépassé la dose sédative prescrite... L'erreur fatale est humaine. Keith le plus facétieux réussit ainsi à fracturer à son insu l'issue de secours, celle qui vous permet de ne pas vieillir et de rester éternellement jeune. Cette porte dérobée au pied de laquelle laquelle Pete Townshend l'intello éternel gratte depuis un demi-siècle en douce, comme ces chats méditatifs qui sur le seuil pluvieux hésitent, et finissent par renoncer à quitter la maison de peur de se mouiller les pattes.

    Une triste histoire quand on y songe, mais la splendeur des débuts vous oblige à en réécouter les échos les plus fougueux.


    Damie Chad.